Le labyrinthe juridique du droit de grève helvétique

Après le tribunal de première instance en juin 2017, le Tribunal cantonal de Neuchâtel a rejeté, en décembre, la plainte des grévistes de l’hôpital de la Providence pour licenciements abusifs. Nous avons recueilli la réaction de Me Christian Dandrès, avocat du Syndicat des services publics (SSP), défenseur des grévistes dans cette procédure.

En 2012, afin de sauvegarder leur CCT, d’éviter des externalisations de service et des licenciements, des salarié·e·s de l’hôpital de la Providence, à Neuchâtel, se sont mis en grève. Ils et elles s’y sont résolus après l’échec de deux mois de négociations devant les autorités cantonales et face à la volonté de leur employeur et du repreneur Genolier d’enfoncer un coin dans leurs conditions de travail. Quelques semaines plus tard, l’employeur les licenciait, au motif que la grève était illégale. Il estimait que les grévistes n’étaient pas légitimes, que la grève était trop longue et qu’elle était menée contre les intérêts d’une majorité de salarié·e·s.

Après quatre ans de procédure, le Tribunal cantonal a jugé que cette grève violait toutes les conditions prévues pour l’exercice de ce droit fondamental. Cet arrêt tranche avec la conception des autorités fédérales – Tribunal fédéral inclus – du droit de grève. En effet, la Suisse a opté pour une approche «libérale» en la matière. Elle laisse les employeurs·euses réglementer les conditions d’emploi principalement par le contrat individuel de travail, sous réserve de quelques règles minimales prévues en particulier dans la Loi sur le travail et le Code des obligations.

Pour moins de la moitié des salarié·e·s en Suisse, les conditions de travail sont en outre régies par des Conventions collectives de travail (CCT). Celles-ci peuvent assurer une protection allant au-delà du cadre rachitique prévu par la loi. Employeurs et syndicats ne sont cependant pas contraints de signer de telles conventions, hormis dans des circonstances, rares en pratique, d’extension de CCT. Dans ce domaine, la liberté contractuelle est la règle.

Afin de contrebalancer le poids économique de l’employeur dans les négociations collectives, la liberté syndicale dont jouissent les travailleurs·euses et leurs syndicats inclut la possibilité de faire grève. Cette dernière est soumise à quelques conditions, notamment la nécessité d’être soutenue par un syndicat et d’appuyer des revendications susceptibles de faire l’objet d’une CCT. La grève doit aussi être déclenchée après l’échec d’une tentative de conciliation. A cette fin, l’Etat met à disposition des syndicats et des employeurs des offices de conciliation en matière de conflit collectif de travail.

Le Tribunal fédéral, contre l’avis d’une partie de la doctrine et des syndicats, a également jugé que la grève devait respecter le principe de la proportionnalité et ne pas aller au-delà du nécessaire pour atteindre l’objectif visé. Il s’agit d’éviter que la grève perdure jusqu’à l’anéantissement de l’entreprise.

Un droit fondamental rendu inopérant

L’arrêt du Tribunal cantonal dans l’affaire de la Providence change la donne, en considérant que la grève doit être légitime, soit avoir été décidée dans le cadre d’une consultation de tout le personnel, soutenue par une majorité de salarié·e·s et exercée par le même nombre de personnes. Il considère également que, si l’employeur formule une proposition, alors que la grève est en cours, les grévistes sont tenus de cesser leur action afin d’examiner celle-là et le syndicat serait tenu d’accepter cette proposition si elle ne s’éloigne pas trop des revendications des grévistes.

Aussi, l’arrêt neuchâtelois impose aux syndicats et aux employeurs une obligation de résultat au lieu de se limiter, comme il en allait jusqu’à ce jour, à une obligation de moyen, soit de tenter de résoudre le litige par la négociation avant d’entamer une mesure de lutte.

L’arrêt tranche également, par voie judiciaire, une question éminemment politique, la légitimité de la grève, sans qu’elle ait été débattue au sein de l’Assemblée fédérale.

En pratique, si l’arrêt neuchâtelois était confirmé, les nouvelles exigences en matière de droit de grève supprimeraient toute réelle effectivité à ce droit fondamental à Neuchâtel et pourraient influencer d’autres juridictions cantonales. Les anciens grévistes de l’hôpital de la Providence ont porté le cas au Tribunal fédéral. Affaire à suivre.

Christian Dandrès

SSP