Pour un OUI critique au régime financier

Le 4 mars prochain, le corps électoral se prononcera sur la possibilité pour la Confédération de continuer à percevoir ses deux principales sources de recettes, la TVA et l’impôt fédéral direct (IFD).


Markus Bronnimann

Depuis 1958, date de l’introduction d’une base constitutionnelle pour le régime financier fédéral, la droite helvétique a combattu avec succès l’inscription durable, dans la Constitution, de la perception de l’impôt fédéral direct. Les cercles patronaux et libéraux considèrent l’IFD comme trop progressif.

Ces milieux ont été contraints d’accepter des impôts directs sur le plan fédéral pour financer les dépenses liées à la mobilisation de l’armée durant les deux guerres mondiales. Depuis, ils cherchent à s’en passer, espérant que les recettes de la Confédération puissent à terme reposer uniquement sur des impôts indirects, comme la TVA.

Celle-ci, aux yeux de la droite, présente en effet l’avantage d’être clémente pour les contribuables aisés, puisqu’elle impose au même taux le multimillionnaire et la caissière de supermarché, sans tenir compte de leur capacité contributive pourtant très différente. L’opposition historique de la droite à l’IFD explique la tenue d’une votation sur le régime financier tous les quinze ans.

En 2015, lorsque le Conseil fédéral a mis en consultation un nouveau projet de régime financier sans limite dans le temps pour l’IFD, l’opposition du patronat et de la droite libérale n’a pas manqué de se manifester une fois de plus. Dans sa réponse à la consultation, le Centre patronal, parmi d’autres, expliquait: «en bonne logique fédéraliste, il serait […] souhaitable de revenir à un système clair qui attribue les prérogatives dans le domaine de la fiscalité directe aux cantons et aux communes exclusivement, et les impôts indirects à la Confédération. Afin de poursuivre ou de reprendre, le moment venu, les réflexions sur la répartition de ces compétences entre la Confédération et les cantons, il est nécessaire de maintenir le caractère temporaire de l’IFD… » (18 sept. 2015).

Face à la mobilisation des opposants à l’IFD, le Conseil fédéral a finalement abandonné la perspective d’un ancrage durable de celui-ci dans la Constitution, proposant à nouveau une reconduction limitée à 15 ans.

Un vieux rêve patronal

Pour contrer le vieux rêve patronal d’une suppression de l’IFD, l’approbation du régime financier le 4 mars prochain est nécessaire. Ce oui de gauche n’est pas pour autant synonyme de blanc-seing à la politique financière fédérale, dont il faut au contraire combattre l’évolution récente.

De plus en plus, cette politique fait reposer la charge fiscale sur les contribuables aux revenus bas et moyens plutôt que sur les personnes fortunées et les grandes entreprises (voir aussi ci-contre). Ainsi, en 1995, les impôts sur la consommation (TVA, etc.), qui pénalisent le plus les salarié·e·s et retraité·e·s, contribuaient pour près de 43% aux recettes fiscales de la Confédération (13,8 milliards sur 32,1). En 2016, cette part approche désormais 48% (29,8 milliards sur 62,5).

Sans compter que, malgré la rancœur de la droite libérale contre le caractère progressif de l’IFD, cette progressivité est limitée: au-delà de 755300 francs de revenu annuel (pour une personne seule), le taux d’imposition n’augmente plus, mais est plafonné à 11,5%. Quant à la fortune, elle n’est pas imposée sur le plan fédéral.

Hadrien Buclin


Des milliards de dividendes exemptés d’impôt

Les gros investisseurs peu­vent se montrer satisfaits de la deuxième réforme de l’imposition des entreprises (RIE2), acceptée de justesse en votation populaire il y a 10 ans, malgré un référendum lancé par la gauche. En effet, la RIE2 élargit pour les entreprises les possibilités de payer une partie des dividendes versés aux actionnaires résidant en Suisse et détenant des actions comme patrimoine personnel sous la forme de remboursement d’apport en capital. Ce remboursement échappe aussi bien à l’impôt fédéral direct (IFD), qu’à l’impôt anticipé et aux impôts communaux et cantonaux sur le revenu. En 2015, les entreprises suisses cotées en bourse ont versé 14 milliards à leurs actionnaires au titre de remboursement d’apport en capital (Le Temps, 12 févr. 2017).

La RIE2 a également introduit une défiscalisation partielle des dividendes ordinaires pour les actionnaires détenant au moins 10% d’une société. L’IFD n’impose désormais ces dividendes qu’à 60% de leur valeur et les cantons ont la possibilité d’aller encore plus loin. Glaris détient aujourd’hui la palme de la défiscalisation des dividendes: ils n’y sont imposés, sur la part communale et cantonale de l’impôt, qu’à 35%.

Avec de telles incitations fiscales, certaines entreprises choisissent de rémunérer des collaborateurs ayant de hauts revenus sous forme de dividendes plutôt qu’en salaire, afin d’esquiver la cotisation aux assurances sociales. Selon les économistes de l’Union syndicale, cette dérive aurait déjà coûté plus de 2 milliards à l’AVS (communiqué du 27 déc. 2016).

Peu avant la votation de 2008 sur la RIE2, le Conseil fédéral prédisait que celle-ci entraînerait quelques dizaines de millions de francs de pertes pour les collectivités publiques. En 2011, les autorités avaient dû reconnaître que les pertes dépassaient en réalité 700 millions par an. En 2017, elles admettaient désormais 1 milliard de pertes annuelles (RTSInfo, 19 janv. 2017). Mais l’Union syndicale les estime à 1,5 milliard chaque année (27 déc. 2016).

Il est bon de s’en souvenir au moment où le Conseil fédéral dit vouloir accélérer la mise en œuvre de la nouvelle mouture de la RIE3, rebaptisée PF17. HB