Soins dentaires

Soins dentaires : Ouvrir la voie vers de nouvelles assurances sociales

2018 pourrait bien ouvrir une nouvelle séquence politique dans le domaine des assurances sociales. L’AVS, dont l’attachement populaire a été rappelé par le refus de la réforme PV2020 l’an dernier, n’a pas fini de faire parler d’elle. De nouvelles batailles pour la défendre et même la développer devraient voir le jour, opposant le modèle solidaire, sûr et plus avantageux du système de rentes par redistribution à celui de la capitalisation individuelle, alors que les déboires des caisses de pension ne cessent de démontrer la justesse de notre projet d’une intégration du 2e pilier à l’AVS.

Une autre échéance approche à grand pas: celle des assurances publiques pour le remboursement des soins dentaires, proposées par des initiatives populaires dans cinq cantons latins. Le canton de Vaud ouvre le bal avec la votation du 4 mars prochain. Dans la même année devraient suivre Genève et Neuchâtel, puis le Valais et le Tessin.

Ces échéances revêtent une grande importance. Elles visent à corriger une absurdité aux conséquences sociales et sanitaires catastrophiques: l’absence de prise en charge de la santé bucco-­dentaire. Elles posent au cœur du débat public la proposition d’un progrès social d’ampleur, suffisamment rare pour être défendue avec force. Si elles se soldaient par une victoire – ce qu’on peut raisonnablement espérer – cela représenterait une avancée de poids dans les rapports de force politique et sociaux.

La santé bucco-dentaire est intimement liée à la santé générale (voir page 5). Les pathologies bucco-dentaires peuvent favoriser l’émergence de maladies graves et de nombreux problèmes de santé contribuent à l’émergence de maladies bucco-dentaires. Tout le monde n’est donc pas logé à la même enseigne et une hygiène parfaite ne suffit pas, quoi qu’en disent les opposant·e·s, adeptes de la «responsabilité individuelle», qui n’ont à la bouche que cette maxime répétée avec cynisme: «brossez-vous les dents trois fois par jour.»

Dans le canton de Vaud, qui sont ses adversaires? Le Centre patronal, la droite (PLR, UDC, Vert’libéraux) et la société des médecins dentistes: des organisations représentant la classe possédante, et défendant leurs intérêts matériels face à une mesure qui permet de corriger une inégalité sociale flagrante. Pour la combattre, ils ont investi des sommes astronomiques dans une campagne de matraquage publicitaire hors du commun, avec toujours la même rengaine mensongère: il s’agirait de taxes et d’impôts supplémentaires, voulus par la seule «extrême gauche.» Des allégations parfaitement fausses, mais dont la force est d’être répétée jusqu’à la nausée.

Il faut dire qu’ils sont à cran. Et on les comprend. Les initiatives soumises au vote n’entendent pas intégrer les soins dentaires à ceux pris en charge par l’assurance de base (LAMal) ; une telle mesure ne ferait que renforcer un système injuste, avec des primes par tête hors de prix et au final pas grand-chose de remboursé. Au contraire, elles visent la mise en place de véritables assurances sociales. Au lieu de gestionnaires privés accaparant notre argent dans les dividendes octroyés aux actionnaires, ou le gaspillant dans des campagnes publicitaires, sa gestion publique préservera l’assurance de la concurrence et du marché. Son modèle de financement sera analogue à celui de l’AVS: des cotisations sociales paritaires, permettant à chacun·e de contribuer selon ses moyens et d’avoir accès aux soins selon ses besoins.

Mesure élémentaire en matière de santé, disent de nombreuses personnes bien au-delà des rangs de la gauche. Du reste, l’initiative est même soutenue, dans le canton de Vaud, par le Parti démocrate-chrétien (PDC). Mais c’est bien ce modèle que la majorité de la droite et du patronat a en horreur. L’introduction de l’AVS en 1947 constitue en ce sens une exception notoire à la politique antisociale menée par les milieux dirigeants en Suisse. Aujourd’hui, ils sont terrifiés à l’idée qu’un domaine de la santé soit pris en charge de cette façon.

Nous payons de notre poche des factures dépassant en moyenne 500 francs par an et par personne, du jour de la naissance à celui du décès. Dans la réalité, il s’agit d’une moyenne entre des frais réguliers de contrôles et détartrages au montant moins élevé, et des factures dépassant 2000 voire 4000 francs au premier problème sérieux. Au point que de très nombreuses personnes doivent renoncer aux soins ou se résoudre à de lourds sacrifices.

Un oui massif le 4 mars 2018 dans le canton de Vaud garantirait à toutes et tous un accès à des soins dentaires de qualité, sans se ruiner. Il ouvrirait la voie aux prochaines échéances cantonales et, espérons-le, à une mise en œuvre fédérale. C’est ainsi qu’est née l’assurance maternité. D’abord introduite dans le seul canton de Genève, elle a été par la suite étendue à toute la Suisse.

Le remboursement des soins dentaires par un modèle sûr et équitable, ça peut se faire. Ça va le faire!

Pierre Conscience