Les résultats des élections en Catalogne

Suite aux élections catalanes du 21 décembre dernier, nous publions ici une analyse critiquant les tendances espagnolistes des directions de Podemos et de IU sur le processus catalan (réd)


Lucha de clases

La révolution démocratique que vit la Catalogne a démontré sa vigueur. Le Partido popular (PP) a été mis en déroute, l’indépendantisme a revalidé son appui et la gauche espagnole a montré son incapacité de fournir une alternative.

La théorie selon laquelle En Comú-Podem allait être la «clé» d’un changement a mis en relief une incompréhension de la nature du conflit. Plus de 2 millions de personnes ont voté pour les partis indépendantistes (quelques dizaines de milliers de plus que lors du 1er octobre). 54 % des votants ont donné leur appui à des partis défendant le droit à décider. Si nous tenons compte du fait que la majorité des électeurs·trices du Partit dels Socialistes de Catalunya (PSC) sont aussi partisans du droit à décider, la majorité de la population veut pouvoir décider de son lien avec l’Etat central.

Le PP a échoué

La bourgeoisie espagnole, le PP et l’Etat ne peuvent mettre à genoux par des «méthodes démocratiques» les rêves de liberté du peuple catalan. L’Etat a utilisé la force, la répression légale et la propagande par les médias, pour tirer avantage de l’application de l’article 155.

Les nationalistes espagnols ont été battus, car ils ne peuvent inclure dans leur bloc les votes de En Comú-Podem, ni de nombreux votes pour le PSC.

L’indépendantisme a obtenu une majorité significative. Ce pour quoi on vote n’est pas nécessairement en premier le désir d’indépendance, mais la dignité et la récupération de la fierté: une expression de la lutte de classes, des revendications démocratiques et sociales. Quiconque maintient qu’il s’agit d’«un affrontement entre bourgeoisies pour se répartir le gâteau» a de mauvaises intentions ou manque de capacité pour analyser la réalité.

Ce mouvement a survécu à cette guerre, à laquelle la majorité de la gauche espagnole s’est jointe, parce qu’il possède une vitalité nourrie du peuple et non de la bourgeoisie.

Un secteur du nationalisme catalan de droite, qui aurait pu y voir une monnaie d’échange dans ses négociations avec Madrid, fut écarté et perdit le contrôle du mouvement qui s’est par moments radicalisé.

C’est l’un des changements les plus significatifs qui s’est produit: un regroupement du vote vers le secteur le plus à droite dans le camp indépendantiste et dans celui du nationalisme espagnol, avec l’écrasement du PP et la croissance de Ciudadanos.

La Candidatura d’unitat popular (CUP) a été victime de sa politique, en établissant une priorité qui poussait au vote utile pour Esquerra republicana de Catalunya (ERC) ou pour Puigdemont. Une partie de ses électeurs·trices a priorisé la défaite de l’espagnolisme.

Elections comme les autres?

Il ne s’agissait pas d’élections «normales» où on fait le bilan de la politique gouvernementale. Il s’agissait de récupérer la dignité d’un peuple pour mettre en déroute le gouvernement du royaume d’Espagne. Raison pour laquelle malgré l’augmentation du prestige de ERC et le regroupement des secteurs les plus combatifs par la CUP, le phénomène du «vote utile» a fonctionné.

Se promener en Catalogne en répétant «Ni DUI, ni 155»¹ produit une sensation d’extraterrestres ou tout au moins d’«extracatalans». L’équidistance ne marche pas quand il s’agit d’être ou de ne pas être.

Le discours espagnoliste des dirigeants de Podemos et de IU n’a pas facilité la tâche de nos camarades en Catalogne. Des déclarations outrancières – Menedero, défendant l’application de l’art. 155, parce qu’«ils sont devenus fous» – nous discréditent.

La décomposition du PP, une des meilleures nouvelles de cette campagne électorale, influencera sûrement les processus dans l’Etat espagnol.

La bourgeoisie espagnole a montré sa faiblesse. Le PP seul ou avec l’appui de Ciudadanos n’aurait pas pu prendre la voie de l’art. 155. Il a dû s’appuyer sur la direction du Partido socialista obrero español (PSOE). Le PSOE s’est immolé pour donner de l’oxygène au système politique et économique de l’oligarchie espagnole.

Dans ces conditions, dire que la lutte du peuple catalan a réveillé le fascisme reflète deux choses préoccupantes: assimilation des idées du système et incompréhension des processus sociaux.

La gauche doit se demander comment Ciudadanos a pu devenir le parti le mieux voté dans la ceinture rouge de Barcelone. La réponse ne réside pas dans les erreurs commises sur la question nationale, mais aussi dans les échecs sur le terrain social. La coalition tripartite [ndr: PSC, Iniciativa per Catalunya- Verds et ERC] ne fut pas capable de fournir une alternative, causant une énorme déception et ouvrant la porte à l’indépendantisme, qui s’appuyait sur les aspirations démocratiques de la population comme manière de fuir les conséquences de la crise du système et de l’échec du régime de 1978.

L’Etat central ne semble pas prêt à reculer. Le conflit entrera donc dans une nouvelle phase aiguë. Le risque de sectarisation ne peut être freiné que par la gauche de l’Etat espagnol, en se mettant à la tête de la lutte pour la reconduire selon des méthodes et un esprit de classe. Il faut cesser d’opposer droits démocratiques et droits sociaux. Si la gauche était capable d’unir ces droits en Catalogne et dans le reste de l’Etat, ce serait une force énorme.

Alberto Arregui
Coordination fédérale de Izquierda Unida

Jordi Escuer
Coordination de Izquierda Unida – Madrid

Traduction de l’espagnol et coupes de notre rédaction

  1. DUI= Déclaration Unilatérale d’Indépendance / 155= art. constitutionnel espagnol permettant la prise en main de la Catalogne par le gouvernement central de Madrid.