Girl power

Dans son roman d’anticipation The Power, Naomi Alderman imagine un monde dominé par les femmes. Et nous aide à penser les mécanismes de domination de genre.

Des fouilles archéologiques l’attestent: il y a un peu plus de 4 000 ans, dans les années 2010, l’ordre du monde s’est renversé, presque du jour au lendemain. Un historien nous raconte le «Changement», quand des adolescentes découvrent qu’elles possèdent un pouvoir aux effets dévastateurs, comparable à celui des anguilles électriques, le skein.

Partenaires, amis ou parents coupables de harcèlement et d’agressions sont les premiers à faire les frais de ce pouvoir. L’autojustice se généralise et journalistes, scientifiques et philosophes s’interrogent sur les origines, le sens et les effets du skein. D’où ce pouvoir vient-il et pourquoi les femmes sont-elles les seules à le posséder? Comment le contenir, voire l’éradiquer? Et comment protéger les garçons et les hommes?

Car le skein tue tous les jours. A mesure qu’il progresse, la peur se répand parmi celles et ceux qui n’en sont pas pourvus et le subissent au quotidien. Les lois changent, de nouveaux mouvements et revendications émergent, les religions évoluent, de nouvelles puissances redessinent les frontières et les territoires. Les adeptes de la Nouvelle Eglise revisitent les Ecritures pour n’en retenir que les passages et les interprétations valorisant les figures féminines. Le corps des hommes est mis au service des fantasmes féminins. Les dirigeantes succèdent aux dirigeants, souvent au détriment des droits et des conditions de vie masculines. Progressivement, la violence féminine resserre son étau, étouffant la capacité d’agir et la subjectivité des hommes.

La principale force du roman de Naomi Alderman est d’échapper à l’essentialisation de la violence. Il rappelle que cette violence découle avant tout d’un système qui la rend possible et la légitimise. En d’autres termes, les femmes possédant le skein ne sont pas naturellement violentes, mais elles ont intériorisé le fait qu’elles peuvent imposer leur force sans encourir de représailles. «Why did they do it?», demande un personnage. Réponse: «Because they could».

Autre intérêt de l’ouvrage, l’historien-narrateur retrace la période du Changement à travers le regard des dominantes, les femmes. Non seulement elles sont les principaux personnages, mais le Changement est décrit par le biais de leurs décisions et de leurs actions. Les hommes se voient privés de leur statut de sujets. Ils sont spectateurs, victimes ou témoins. On les violente, on les sauve, on les infantilise. Ils subissent pendant que les femmes sont sujettes à la fois de l’Histoire et de leur vie. Jusqu’à la dernière ligne du roman.

Alderman rend ainsi palpable ce que beaucoup s’acharnent aujourd’hui à minimiser ou occulter, à savoir les effets pernicieux et souvent imperceptibles – surtout pour ceux qui ne les subissent pas – de siècles de sexisme.

Salué par trois figures majeures du genre, Margaret Atwood, Karen Joy Fowler et Ursula Le Guin, The Power devrait vite rejoindre les classiques de la science-fiction – on se retiendra d’ajouter l’épithète «féminine».

Kelly Harrison

Naomi Alderman, The Power, Penguin, 2016.