Glyphosate

Glyphosate : La leçon de choses

Ainsi une majorité des Etats membres de l’Union européenne a décidé d’autoriser pour cinq ans de plus l’utilisation du glyphosate, principe actif de plusieurs herbicides, dont le plus connu et vendu est le Roundup de Monsanto. Cette décision a été précédée d’un intense travail de lobbyisme de l’agrochimie. En particulier de Monsanto, sur le point d’être rachetée par l’allemand Bayer pour former le premier groupe mondial des semences et de la chimie. Monsanto a construit toute sa stratégie de développement autour de l’utilisation combinée de semences génétiquement modifiées pour résister à l’herbicide que l’agriculteur·trice utilise ensuite. L’interdiction du glyphosate entraînerait un ralentissement prononcé de ses ventes de semences OGM. Inacceptable pour la transnationale, qui avec les deux autres géants de la branche (DowDupont et Syngenta/ChemChina) entend bien contrôler étroitement l’agriculture mondiale.

La procédure d’évaluation de Bruxelles a illustré jusqu’à la caricature comment des organes de type comité d’expert·e·s, censés produire un point de vue indépendant, étaient largement au service de l’industrie, reprenant des pages et des pages d’analyses fournies par les producteurs, sans même indiquer qu’il s’agissait de citations. Identification totale des expert·e·s aux intérêts des entreprises privées, au détriment de la santé publique: le cas est d’école.

Finement, toutefois, l’agrochimie n’a pas donné de la voix publiquement elle-même. Dans toute l’Europe et en Suisse, ce sont les utilisateurs·trices du glyphosate, les agriculteurs·trices qui sont montés au créneau. A Genève, à peine le Parti démocrate-chrétien avait-il évoqué une possible interdiction du glyphosate que la pression des organisations paysannes le faisait reculer quelques jours plus tard. Dans le canton de Vaud, 24 Heures publiait récemment une rubrique «L’invité» rédigée par un viticulteur, Eric Rochat. Il produit certes du cornalin à Savigny, mais il est aussi conseiller de vente dans l’entreprise Stähler, qui, curieuse coïncidence, commercialise des produits et services phytosanitaires. En particulier le désherbant Capito, au glyphosate…

Cette interpénétration des intérêts de l’agriculture industrialisée avec ceux de l’agrochimie est à la base du retournement de position de l’Allemagne, qui a fait basculer la décision européenne. Angela Merkel a certes tancé, un peu, son ministre de l’Agriculture, ancien élu de la Bavière. Mais tout risque d’élections anticipées n’étant pas exclu, ce n’était pas le moment de mettre en difficulté son alliée bavaroise, la CSU, qui avait vu la paysannerie lui faire faux bon pour soutenir les xénophobes de l’AfD. En coulisses, Bayer/Monsanto a dû parachever le travail.

Cet appui sans failles des organisations paysannes majoritaires à l’agrochimie est pourtant un mauvais calcul. Non seulement parce que l’image d’empoisonneur public va leur coller à la peau, mais aussi parce que le modèle de Monsanto s’essouffle. Le Wall Street Journal du 14 septembre mentionne ainsi les fortes réticences des agriculteurs·trices à utiliser des semences aux prix élevés, en augmentation régulière, contrairement aux prix, baissiers. Economiquement peu sûr, le recours à la combinaison OGM + glyphosate touche aussi ses limites biologiquement. Exactement comme l’usage incontrôlé des antibiotiques donne naissance aux super-bactéries résistantes, l’application soutenue du Roundup débouche sur des plantes résistantes ; ces «mauvaises herbes» ont progressivement conquis le continent américain, au Nord comme au Sud.

Et en Suisse, alors? Eh bien, la Suisse fait figure d’exception. Non pas à cause de ses prescriptions d’application réputées plus sévères qu’ailleurs, bien difficiles à contrôler toutefois, mais bien à cause de son impavidité. Berne n’a jamais envisagé ne serait-ce que de suspendre l’emploi du glyphosate. En Suisse on sait y faire, circulez, y’a rien à voir. Et si l’émission de télé «A bon entendeur» retrouve du glyphosate dans l’urine de 40 % des 40 volontaires testés, c’est évidemment la faute des étrangers, enfin, pardon, des produits importés! De plus, nous disent les officiels, les doses minimales ne sont pas atteintes. Comme si l’exposition quotidienne au produit et sa combinaison avec d’autres molécules rentraient dans ce schéma simpliste de la dose minimale…

Reste une question en suspens: depuis plusieurs années, dans le monde entier, à l’initiative de Greenpeace, des manifestations de dénonciation de Monsanto se tiennent. Si l’effet dans l’opinion publique n’est pas mineur, sur le plan du rapport de forces il n’a pas suffi. Il est temps, à mon sens, d’aller au-delà de la simple protestation. Bien sûr, deux initiatives fédérales s’opposant d’une manière ou d’une autre à l’utilisation des pesticides de synthèse ont été lancées. Les soutenir paraît aller de soi. Mais c’est bien en amont de la production qu’il faudra imposer les objectifs de santé publique et d’agriculture écologique. Autrement dit, il faut dès maintenant réfléchir activement aux revendications à avancer pour déboucher sur un vrai contrôle de Bayanto, DowPont et ChemGenta.

Daniel Süri