Guerre en Irak et divisions impérialistes

Guerre en Irak et divisions impérialistes

Comme l’a révélé Bob Woodward dans le Washington Post des 27 et 28 janvier 2002, l’administration états-unienne avait envisagé de faire la guerre à l’Irak dès le lendemain du 11 septembre 2001. Ce qui divisait alors l’administration,
c’était l’opportunité ou non de découpler la guerre contre les Talibans, susceptible d’être soutenue par une large alliance internationale, de la guerre contre Saddam Hussein. Sur ce point, on sait que Powell s’est imposé face à Rumsfeld.


Mais désormais, il ne s’agit plus de savoir si l’Irak dispose d’armes de destruction massive, ni d’ailleurs de chercher à le prouver de façon un tant soit peu convaincante. Il ne s’agit plus non plus de faire des concessions à des alliés européens hésitants. Le temps que l’ensemble des moyens nécessaires soient rassemblés sur le théâtre d’opération, dans trois semaines ou un mois, et une force de 150 000 hommes sera prête à l’attaque.

Une guerre pour l’hégémonie US

La guerre en Afghanistan, comme la guerre en Irak, sont cohérentes avec la nouvelle stratégie globale de l’impérialisme américain, après l’effondrement de l’URSS. Dans l’immédiat, elles visent bien sûr à contrôler les principales réserves de pétrole du monde (Caspienne, Golfe). Mais, ce n’est pas tout. Comme l’a montré Peter Gowan, les Etats-Unis n’ont plus le privilège décisif de «protéger» l’Europe et le Japon contre la «menace» de l’URSS. En même temps, l’Europe a fait de grand progrès dans son unité et peut rêver d’un redéploiement de ses intérêts vers l’Eurasie occidentale. Pour Washington, il s’agit de défendre au mieux et de promouvoir ses intérêts dans ce nouveau contexte mondial. En somme, les Etats-Unis, l’Europe Occidentale et le Japon ont gagné la guerre froide, mais il leur reste à se partager le tribut de leur victoire (solidaritéS, n° 19).


La guerre en Irak n’est donc pas seulement une guerre coloniale pour l’or noir. Elle marque aussi une montée en puissance de la confrontation entre l’Union Européenne et les Etats-Unis. C’est dans ce cadre qu’il faut resituer les réactions fortes de l’Allemagne et de la France. C’est pourquoi aussi, la riposte de l’administration US a été brutale (stigmatisation de la «vieille Europe» et mise en scène de la lettre ouverte des huit chefs d’Etats pro-américains du Vieux Continent), suscitant à son tour l’adoption d’une résolution opposée par le Parlement européen. En effet, comme le relève le correspondant de The Independent à Paris: «La façon dont cette guerre est menée, et qui y prend part, à des implications considérables et incalculables pour l’Europe…» (4 février).

Rivalités inter-impérialistes

Nous assistons sans aucun doute à une résurgence des rivalités entre grandes puissances de la triade (USA, Europe, Japon). C’est une tendance fondamentale de l’impérialisme, même si plus d’un demi-siècle de suprématie incontestée des Etats-Unis avait contribué à le faire oublier. Quelle que soit donc l’issue diplomatique provisoire de ce conflit, il faudra compter avec des tensions croissantes à l’avenir. En d’autres termes, même si l’Allemagne et la France font provisoirement profil bas afin de trouver des accommodements avec l’Angleterre et une sortie «honorable» de la crise – au moment où nous bouclons, le porte-avion Charles de Gaulle vient de quitter Toulon en direction du golfe – ce ne sera que partie remise.


L’Europe, comme le Japon, la Russie, la Chine et un certain nombre de grands Etats du tiers-monde, prônent le règlement multilatéral des conflits, si possible par la voie pacifique et les négociations; ils veulent assurer la pérennité de l’ONU et le développement d’un système d’accords multilatéraux qui leur donnent voie au chapitre (Tribunal Pénal International, Accords de Kyoto sur les gaz à effet de serre, etc.). Les Etats-Unis, préfèrent l’action unilatérale, si possible militaire, tentant en même temps d’accentuer la division et l’impuissance de leurs concurrents.

Dans la rue le 15 février!

Nous l’avons vu, l’administration Bush était décidée dès le départ à déclencher la guerre contre l’Irak, quoi qu’il lui en coûte. Le différend entre «faucons» et «colombes» portait sur un seul point: quelles concessions mineures fallait-il faire aux Européens pour s’assurer de leur concours, même passif. Devant la résistance plus forte que prévue du noyau dur de l’Union Européenne, les «colombes» ont mis bas les masques. Il n’y a plus guère que Tony Blair pour chercher un compromis de façade afin de restaurer l’unité apparente du camp occidental… et sauver sa peau en obtenant un simulacre de légitimité onusienne à la guerre…


Ce nouveau climat de divisions entre grands de ce monde ouvre de nouveaux horizons pour le mouvement contre la globalisation capitaliste et contre la guerre. L’impact des mobilisations internationales du 15 février prochain, notamment à Londres, est de ce point de vue tout à fait capital. Il faut encore tout faire pour empêcher cette guerre, jusqu’au dernier moment! Si Bush et Blair la déclarent tout de même, nous devrons la leur faire payer cher sur le plan politique. De ce point de vue, la lutte ne fait que commencer.


Jean BATOU