Maroc

Maroc : «Sa majesté le peuple» lutte pour sa dignité

Cela fait maintenant plus d’un an que la région du Rif, au nord du Maroc, est secouée par un important mouvement populaire, le hirak. Celui-ci a émergé en réaction au meurtre de Mouhcine Fikri, broyé vivant dans un camion-poubelle à Al Hoceima alors qu’il cherchait à récupérer le fruit de son travail, une cargaison d’espadons. La violence de cette scène incarne dramatiquement la situation délétère dont souffre le Rif, et les mobilisations se sont centrées autour d’un certain nombre de revendications socio-économiques. Retour sur une année de mobilisations et de répression.

Critique de la corruption généralisée de l’administration, exigence de la fin du «blocus économique» dont est victime la région, condamnation du décret royal de 1958 considérant la région comme une zone militaire, ou encore exigence de construction d’infrastructures publiques (université, hôpital, etc.), les revendications du hirak incarnent une exigence de dignité trop longtemps reniée par le pouvoir monarchique marocain. De fait, et bien qu’une majorité de manifestant·e·s refusent d’affirmer le caractère politique du mouvement, elles pointent les dysfonctionnements du système politique marocain et, à ce titre, le remettent indirectement en question.

Le peuple contre la Hogra 1

En effet, si le mouvement s’est construit en réaction à la violence inouïe qui a caractérisé la mort de Mouhcine Fikri, il remet surtout en cause la violence d’Etat, plus insidieuse, qui s’exerce au Rif et plus largement au Maroc. C’est tout d’abord une critique de la violence du néolibéralisme et des politiques d’austérité qui étouffent les services publics et qui laissent un manque criant d’infrastructures, notamment dans la santé et l’éducation. Ainsi, le Rif ne dispose que d’un seul hôpital général, dont les moyens sont d’ailleurs largement insuffisants pour répondre aux besoins de la population – d’autant plus grands que l’utilisation massive de gaz moutarde par les colons lors de la guerre du Rif, entre 1921 et 1926, cause aujourd’hui de nombreux cas de cancers.

Cette violence n’est pas sans lien avec celle de l’impérialisme et du néocolonialisme, qui autorise des multinationales européennes à s’approprier les ressources de la région (notamment les ressources maritimes), alors même que c’est la raison pour laquelle Mouhcine Fikri est mort (la pêche d’espadons étant formellement interdite, mais officieusement autorisée). Autre exemple de l’hégémonie arrogante de l’une des deux anciennes puissances coloniales: dans le cadre des plans d’ajustement structurels imposés par le Fonds monétaire international dans les années 1980, les privatisations qui ont atomisé voire détruit le service public ont surtout profité aux actionnaires des entreprises françaises.

Cette exigence de dignité portée lors des manifestations remet donc en question le pouvoir monarchique marocain qui l’entrave. Elle s’est par conséquent heurtée à une répression très violente de sa part: violences lors des mobilisations (dont résulte la mort d’Imad El Attabi), présence massive de l’armée dans la région, arrestations et incarcérations, poursuites judiciaires très lourdes contre des manifestant·e·s (qui risquent jusqu’à 20 ans de prison). Le pouvoir marocain cherche ainsi à briser ce mouvement, et par ailleurs à l’isoler et le marginaliser, ce dont témoigne la féroce répression dont il a fait preuve contre une manifestation de solidarité à Rabat.

Actuellement, plus de 300 manifestant·e·s du Rif sont toujours emprisonné·e·s. Pour dénoncer cette répression et leurs conditions, certain·e·s d’entre elles·eux avaient entamé une grève de la faim, qui a duré environ un mois avant qu’ils et elles l’interrompent pour des raisons de santé.

Dès lors, comme en témoigne la récente arrestation d’une trentaine de personnes qui revendiquaient le droit à l’eau potable à Zagora (dans le sud du Maroc), les revendications du hirak ne sont pas circonscrites au Rif et touchent au cœur du système politique marocain. Ce n’est donc pas un problème de dysfonctionnement administratif, comme voudrait le faire croire Mohammed VI en destituant trois ministres et des hauts fonctionnaires, mais bien une question de démocratie, de justice sociale et de dignité qu’il est fondamental de soutenir.

Anouk Essyad

  1. La hogra désigne le mépris, l’injustice ou encore l’oppression dont est victime une population.


Jorge Lemos

Pour commémorer l’anniversaire de la mort de Mouhcine Fikri, un rassemblement organisé par solidaritéS Vaud et soutenu par diverses organisations politiques et associations (Groupe Regards Critiques, SUD Etudiant·e·s et Précaires, AFU-Association Féministe UNIL, Jeunesse Socialiste Vaudoise, Jeunes Vert·e·s vaudois·e·s, et POP & Gauche en mouvement) a réuni une soixantaine de personnes à Lausanne samedi 28 octobre 2017.

L’événement visait par ailleurs à dénoncer la répression violente qui touche le mouvement pacifique du hirak, et à exprimer une solidarité envers les détenu·e·s politiques du Rif et, plus largement, du Maroc. Il a été question de soutenir les revendications des manifestant·e·s, à savoir la fin de la militarisation de la région, la satisfaction des revendications sociales et économiques du hirak et, finalement, la libération immédiate des détenu·e·s politiques du Rif et du Maroc avec abandon des charges.

A la suite au rassemblement, il a été décidé de rédiger une résolution appuyant ces revendications, et de la faire signer par le maximum d’organisations associatives, politiques et syndicales, pour l’adresser à l’ambassade du Maroc. AE