Où va la Catalogne?

Entretien avec Andreu Coll Blackwell (Anticapitalistes, Catalogne).


Assemblea.cat

Quel était, à votre avis, le sens de la proclamation de la République catalane?

Ce fut un acte symbolique, vu que n’existaient pas les conditions politiques (une majorité sociale assez claire en faveur de l’indépendance), organisationnelles (des structures d’auto-organisation assez fortes) ou administratives pour la création d’un nouvel Etat. De plus, depuis le référendum du 1er octobre, les rapports de force se sont encore dégradés pour plusieurs raisons:

  • le trop long délai avant de prendre acte des résultats du référendum, démoralisant et désorientant les partisan·ne·s de l’indépendance ;
  • un rapport de force très défavorable face à la répression de l’Etat espagnol, qui a démontré dans les faits qu’il était prêt à aller jusqu’au bout pour sauvegarder «l’unité de la patrie». Quand Carles Puigdemont a fait finalement voter une déclaration symbolique d’indépendance par le Parlement catalan, la décision n’a même pas été insérée dans le Bulletin officiel de la Generalitat et n’a été suivie d’aucun acte concret (par exemple des décrets) pour mettre en place ce nouvel Etat. Il n’y a même pas eu d’actes symboliques, comme enlever des bâtiments officiels les drapeaux de la monarchie espagnole.

Qui a gagné le duel entre les gouvernements de la Catalogne et de Madrid?

A mon avis, la clé de la situation réside dans le fait que le «processus indépendantiste» relevait plutôt d’une fuite en avant du nationalisme bourgeois en crise. Celui-ci voulait capitaliser sur un état d’esprit: le ras-le-bol de la société catalane par rapport à l’Etat central, au centralisme autoritaire du Partido popular (PP), aux coupes budgétaires. Ajoutons-y la volonté utopique (au bon mais aussi au mauvais sens du terme) de «bâtir un nouveau pays». Ce n’était pas un projet réaliste de bâtir un nouvel Etat, ce qui impliquait soit une volonté de négocier un tel processus, soit d’être prêt à un affrontement violent avec l’adversaire.

En tout cas, la crise politique inouïe ainsi créée a fragilisé encore davantage le régime espagnol issu de la transition post-franquiste, notamment la Couronne, le pouvoir judiciaire, le système des partis. Elle a ouvert la voie à une régression politique dans toute l’Espagne, vu la fuite en avant politique du bloc monarchiste. Même si l’Etat central est passé à la contre-offensive par l’application de l’article 155 de la Constitution espagnole, qui permet au gouvernement central de prendre le contrôle d’une région, on n’assiste pas pour l’instant à une stabilisation durable de la situation.

On a l’impression que la dynamique indépendantiste s’est dégonflée et que les nombreux secteurs sociaux ayant soutenu le droit à voter ont abandonné la rue.

Oui, les jours qui se sont écoulés entre la proclamation de la République et l’emprisonnement d’une partie des membres du gouvernement catalan restés au pays ont vu une désorientation et une démoralisation significatives. Mais les appels de Puigdemont et l’indignation contre l’offensive de répression sauvage déclenchée par les juges (plusieurs d’entre eux appartiennent à l’extrême droite) ont réanimé la volonté de mobilisation. Il y a plusieurs rendez-vous pour des mobilisations de masse: la grève générale, appelée pour le 8 novembre, et la mobilisation du samedi 12 novembre contre l’article 155 et pour la libération des prisonniers politiques.

Que signifient pour vous les élections du 21 décembre?

Ces élections sont imposées par le gouvernement de Madrid, qui applique une version molle de l’article 155 et vise, par ce canal, à trouver une nouvelle majorité centraliste en Catalogne. Au niveau symbolique, il s’agit de confirmer dans les faits l’ordre constitutionnel espagnol, avec le risque notamment d’une victoire d’une formation réactionnaire comme Ciudadanos. Mais la donne change avec l’existence d’un gouvernement catalan parallèle (qui lance des appels à la population) à Bruxelles, l’emprisonnement de l’autre moitié de ce même gouvernement catalan et la poursuite des mobilisations contre la répression.

Si, le 21 décembre, se produit une grande victoire des forces favorables à l’autodétermination, cela créera pour Rajoy une situation extrêmement difficile. Cela dit, nous appuierons une alliance entre Catalunya en Comù (regroupement de gauche non-indépendantiste, animé notamment par la maire de Barcelone, Ada Colau) et Podem, sur une orientation de soutien à un front contre l’article 155, pour le droit à l’autodétermination et pour initier un processus constituant en Catalogne, généralisable à l’ensemble de l’Etat espagnol.

Je crois que mettre l’accent sur l’idée de République, d’autodétermination, de processus constituant et de rupture avec le régime de 1978 aura beaucoup plus d’écho et suscitera davantage de solidarité parmi les couches ouvrières et populaires, espagnoles et catalanes, que d’insister sur une improbable indépendance de la région la plus riche de l’Etat espagnol. En ce sens, je crois que la démarche stratégique des révolutionnaires catalans consiste à faire le lien entre les couches moyennes frappées par la crise et soutenant la mouvance indépendantiste, et les couches populaires indignées du 15 mai (15-M), dans le cadre d’une politique de rupture constituante, efficace, réaliste et la plus à gauche possible.

Propos recueillis par Juan Tortosa
Edition par Hans-Peter Renk

Pour continuer le débat

Où vont la Catalogne et l’Etat espagnol?
Conférence-débat avec Laia Facet et Manolo Gari
Mercredi 22 novembre
19 h 30 UOG
place des Grottes Genève