RIE 3

RIE 3 : Une bataille sur le taux cantonal

Le Conseil d’Etat estime qu’il peut maintenir sans grand changement son projet fiscal malgré le rejet de la RIE 3 fédérale le 12 février. Il faudra lui montrer qu’il se trompe.

Nous sommes dans une situation compliquée: d’un côté il faut rapidement éliminer les infâmes statuts spéciaux qui permettent aux multinationales et aux affairistes de soustraire des sommes énormes au fisc. D’un autre, il faut contrer la volonté bourgeoise de profiter de la réforme pour réduire massivement l’impôt sur les entreprises et remplacer ces statuts par de nouveaux «outils» garantissant une évasion fiscale à grande échelle.

Dans ce combat, nous pouvons nous appuyer sur la volonté exprimée du peuple fribourgeois. En 2008, le canton rejette avec 55 % de non la réforme fiscale du Dr. Merz. En 2017, le non se renforce considérablement et c’est par 63,2 % des voix que la RIE 3 est balayée. Le Conseil d’Etat a tendance à se moquer de ces résultats. Le grand argentier Godel va même jusqu’à prétendre qu’en rejetant le projet fédéral, le peuple fribourgeois voulait peut-être apporter son soutien au projet cantonal!

En finir avec le dumping fiscal

Avec la disparition des statuts spéciaux, il s’agit de fixer un taux d’imposition du bénéfice s’appliquant à l’ensemble des personnes morales. Le Conseil d’Etat propose un taux unifié extrêmement bas (13,72 %), un taux de dumping fiscal qui va entraîner de lourdes pertes. Si on laisse de côté les mesures compensatoires fédérales et l’adaptation de la péréquation des ressources, les pertes fiscales occasionnées par ce taux se montent à 29,6 millions pour le canton (22 millions pour les communes et 3 millions pour les paroisses). Cela veut dire que les pertes engendrées par la baisse du taux pour les sociétés ordinaires ne sont de loin pas compensées par les gains provenant de la hausse des taux pour les sociétés à statuts.

Ce taux de 13,72 % a toutefois coulé avec l’embarcation du 12 février. Il faut l’oublier et repartir sur de nouvelles bases. Nous défendons un taux unifié correct, qui équilibre les gains et les pertes. Nous proposons une baisse du taux cantonal légal de 8,5 % à 6 %, ce qui produit un taux effectif de 16,38 %.

Avec ce taux, on obtient un résultat convenable: les pertes provenant des sociétés ordinaires sont compensées par les gains provenant des sociétés à statuts. Ces dernières ont profité pendant des dizaines d’années d’une imposition dérisoire. Il est plus que temps de revenir à une imposition décente.

Une bataille défensive, mais acharnée

Nous devons nous lancer dans la bataille, non pas simplement pour protester contre une réforme injuste, mais bien avec l’objectif d’imposer une taxation correcte du capital et des bénéfices. Nous avons pour cela besoin d’une orientation qui permette de rallier de larges secteurs de la population. Dans ce sens, il faut nous concentrer sur quelques axes défensifs, mais essentiels: un taux d’imposition du bénéfice à 16,38 %, la suppression des statuts spéciaux et de la super déduction R&D, une imposition des dividendes d’au moins 70 %. Cela implique un débat avec le Parti socialiste fribourgeois (PSF), car ce dernier se laisse trop facilement aspirer par le projet du gouvernement.

Dans sa prise de position, le PSF se contente par exemple de soutenir la proposition du Conseil d’Etat d’une taxation des dividendes à 60 %. Il se montre également très évasif sur le taux d’imposition du bénéfice, préférant poser le problème en termes de compensation. Pour être en mesure de gagner, il va falloir clarifier les positions. Et tordre le cou à cet argument maintes fois répété du Conseil d’Etat: «Même lorsque nous baissons l’impôt sur le bénéfice, les recettes augmentent». Rien n’est plus faux: à chaque fois, les pertes de recettes ont été importantes, même si le chiffre nominal s’est maintenu en raison de l’augmentation des bénéfices. Et cette fois, le projet va beaucoup loin: il divise l’impôt sur le bénéfice par deux et l’impôt sur le capital par quatre!

Pierre-André Charrière