Référendum au Kurdistan irakien

Un référendum portant sur l’indépendance du Kurdistan irakien, région du nord de l’Irak, autonome depuis 1991 et composée de trois provinces, aura lieu le 25 septembre prochain.

Massoud Barzani, président – non élu – du Kurdistan irakien, devant une photo de son père

Le vote ne sera pas contraignant  mais déclenchera le processus d’indépendance en cas de oui. Le gouvernement central irakien et de nombreux Etats de la région, dont la Turquie et l’Iran, s’opposent à ce scrutin. Au niveau international, la Russie, les Etats-Unis et l’Union européenne voient celui-ci avec méfiance.

Opposition de Bagdad

Les dirigeants irakiens dénoncent la tenue du référendum comme contraire à la Constitution. Bagdad s’oppose aussi à l’intégration dans le possible futur Kurdistan irakien des « zones disputées » du nord du pays, revendiquées à la fois par les Kurdes et le gouvernement irakien. C’est le cas notamment de la province de Kirkuk, multiethnique et riche en pétrole.

La région du Kurdistan irakien compte 5,5 millions d’habitant·e·s, dont environ 4,6 millions de Kurdes, et 7,7 millions si l’on y inclut les territoires disputés.

L’un des derniers liens qui attachaient le Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK) à Bagdad était la dotation financière allouée à la région, représentant 17% du budget irakien, mais elle n’est plus versée depuis janvier 2014. Le Kurdistan irakien est touché depuis lors par une crise financière profonde, mais pas seulement à cause de la fin de la dotation financière de Bagdad. La baisse des prix du pétrole, la corruption et le clientélisme expliquent aussi les difficultés économiques. Le taux de pauvreté a augmenté de façon spectaculaire au sein de la population de la région autonome, alors que les grèves dans les services publics se sont multipliées pour protester contre les retards de paiement et/ou la réduction des salaires.

De plus, la région souffre du conflit militaire avec les troupes de l’Etat islamique et de l’afflux d’un grand nombre de réfugié·e·s fuyant les invasions du groupe djihadiste.

Oppositions régionales et internationales

La tenue du référendum suscite également l’opposition des Etats voisins comme la Turquie et l’Iran, qui craignent qu’un tel processus ne fasse tache d’huile dans leur propre minorité kurde. La Turquie, qui entretient d’excellentes relations avec le GRK et la famille Barzani et est le premier investisseur au Kurdistan irakien, a dénoncé une «terrible erreur» et réitéré son soutien à «l’intégrité territoriale de l’Irak».

Les Etats-Unis, la Russie et les principaux Etats européens sont également réticents à l’idée de l’indépendance. Malgré des relations étroites avec le GRK, notamment dans la lutte contre l’EI, ils défendent le maintien de l’unité de l’Irak. Les Etats-Unis ont même essayé de convaincre les responsables kurdes de reporter le référendum. Les Etats occidentaux voudraient que celui-ci soit repoussé de plusieurs années, craignant que le vote déclenche un nouveau conflit avec Bagdad et provoque une nouvelle crise régionale.

Une classe dirigeante capitaliste et corrompue

Les Kurdes irakiens soutiennent majoritairement l’idée d’indépendance, malgré quelques voix discordantes qui demandent le report du référendum et s’opposent à la direction politique du GRK. Celle-ci est dominée par le tandem du Parti Démocratique du Kurdistan (PDK), dirigé par M. Massoud Barzani, fils de la figure légendaire de la révolte des Kurdes irakiens, Mustapha Barzani, et l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), dominée par l’ex-président de l’Irak, Jalal Talabani. Ces deux partis se partagent le pouvoir depuis un quart de siècle dans le Kurdistan irakien, malgré des périodes de conflits sanglants entre les deux factions kurdes, responsables de plus de 3,000 morts dans les années 1990.

Massoud Barzani est néanmoins l’homme fort du Kurdistan irakien. Lui et sa famille occupent un nombre important de positions politiques: le premier ministre, Nêçirvan Barzani, est son neveu et le chancelier de la sécurité nationale, Masrour Barzani, est son fils. Massoud Barzani gouverne toujours le GRK malgré la fin de son mandat officiel en août 2015. Le système politique au Kurdistan irakien a été suspendu après une tentative de réforme visant à passer à un système parlementaire qui aurait dilué considérablement les pouvoirs de Barzani. Il faut aussi mentionner des attaques des forces de sécurité du GRK contre des journalistes, des activistes et des opposant·e·s critiques de ses politiques.

Il est certain que ces deux partis kurdes du PDK et UPK ont l’intention, à travers ce vote, de renforcer leur pouvoir politique et économique et surtout d’essayer de détourner la colère populaire contre leur gestion néolibérale, clientéliste et corrompue. Aucune illusion ne devrait exister quant au potentiel émancipateur de ces partis alliés aux différents impérialismes internationaux et régionaux, souvent d’ailleurs contre les populations et les forces politiques kurdes présentes dans les autres pays.

Nous devons néanmoins soutenir la possibilité du peuple kurde d’Irak de décider de son avenir en toute indépendance, en d’autres termes du droit à l’auto-­détermination, y compris la séparation avec l’état irakien. A condition que le processus d’indépendance garantisse les droits des minorités ethniques (Arabes, Turkmènes, Assyriens) et religieuses (chrétiennes, yazidis, etc.).

Le droit à l’autodétermination pour tout peuple opprimé est un élément fondamental pour sa libération et son émancipation. Depuis des décennies, ce droit a été nié aux populations kurdes qui ont souffert de la répression violente des Etats régionaux chauvins et des trahisons des différents Etats impérialistes.

Joseph Daher