Brésil

Brésil : Préparer la grève générale

Les dix centrales syndicales brésiliennes se sont mises d’accord pour convoquer les travailleurs·euses brésiliens à une nouvelle journée de grève générale, le 30 juin prochain, et ainsi donner suite aux mobilisations face au gouvernement de Michel Temer et à ses politiques d’austérité. Pour comprendre la situation politique explosive du Brésil, revenons sur quelques-uns des points marquants de son histoire récente.


Midia Ninja

La gauche au pouvoir

La victoire de Lula aux élections présidentielles, en 2002, marque un tournant dans l’histoire de la gauche brésilienne. Le Parti des travailleurs (PT), construit comme une large confluence de forces politiques et sociales à la fin de la dictature militaire, est porteur de grands espoirs de changement au sein d’une société extrêmement injuste, encore marquée par l’héritage de l’esclavage, mais aussi touchée de plein fouet par les transformations du capitalisme contemporain.

Minoritaire au parlement, le premier gouvernement Lula conjugue de vastes politiques sociales et des mesures de renforcement de grands groupes capitalistes. La stratégie de construction d’un nouveau pacte social autour d’un consensus, qui joindrait syndicats et grandes entreprises, mouvements sociaux et élite dirigeante, commence à se fissurer dès 2006 avec le premier grand scandale de corruption, le Mensalão, dans lequel le PT est accusé d’acheter ses soutiens au parlement. Les négociations avec le parlement se font de plus en plus dures, ce qui n’est pas rendu plus facile par les conséquences de la crise financière de 2008, qui touche spécialement les prix des matières premières, élément central de la croissance économique depuis les années 1990 au moins.

La rue se réveille

Pour assurer son maintien au pouvoir, le PT doit jongler en permanence entre les demandes populaires et les pressions du marché, des grands groupes journalistiques et des appareils partidaires. L’équilibre se maintient, tant bien que mal, jusqu’en 2013, au prix d’une perte de capacité de mobilisation notable des syndicats et des mouvements sociaux, étroitement liés au PT, qui voient nombre de leurs cadres dirigeants nommés à des postes officiels et engloutis par l’appareil de l’Etat.

En juin 2013, suite à l’annonce de la hausse des tarifs des transports publics à São Paulo, la population réagit par de très grandes mobilisations, dont les demandes sont rapidement étendues à la gratuité des transports public et à la dénonciation des politiques d’austérité menées par Dilma Roussef, qui a succédé à Lula en 2011. Les manifestant·e·s sont confrontés à une violente répression, initialement appuyée par les grands médias nationaux. Ceux-ci saisissent cependant vite l’opportunité et proposent de nouvelles manifestations, désormais centrées sur la dénonciation de la corruption associée au PT et en soutien à une réforme politique jamais clairement définie. La droite a occupé la rue, comme elle ne l’avait pas fait depuis le début de la dictature militaire en 1964, et les partis de gauche ont été chassés des manifestations, sur fond d’un discours antipolitique souvent doublé d’un discours anti-pauvres.

Crise économique

La crise économique et la crise politique se renforcent mutuellement, dans une spirale qui n’est à cette date toujours pas interrompue. Les scandales de corruption qui se suivent révèlent des mécanismes auxquels participent tous les partis à l’exception de l’extrême gauche. Ils sont découverts en grande partie grâce aux mesures de transparence et d’indépendance de la justice mis en place par les gouvernements du PT. Ils rendent intenable la position de Dilma Roussef. Face à la crise économique qui s’approfondit et pour s’assurer un appui durable des marchés, cette dernière propose des politiques d’austérité, mais le gouvernement n’arrive plus à trouver de majorité au congrès. Des mobilisations massives contre le gouvernement, en mars et novembre 2015, précèdent la procédure de destitution de Roussef en 2016, sur des bases juridiques fragiles et très techniques.

Une sortie de gauche?

A la destitution de Dilma, se met en place un consensus médiatique autour de l’application de politiques d’austérité très dures. C’est ce consensus qui assure pour le moment la survie politique de Michel Temer, un président avec des taux de popularité proches de zéro, mais soutenu par une solide base parlementaire. A chaque coup reçu, Temer s’empresse d’approuver les mesures de rigueur exigées par le capital, au travers des grands groupes de presse ou des syndicats patronaux.

C’est ainsi que les dépenses publiques sont limitées pour 20 ans par un amendement de la Constitution, que les droits du travail sont fortement menacés, et que les retraites sont brutalement coupées. La crise économique continue à faire des ravages: des millions de fonctionnaires de l’Etat de Rio de Janeiro doivent faire face à des retards de salaire allant jusqu’à trois mois, le chômage bat chaque mois de nouveaux records.

Face à ce raz-de-marée d’austérité, la résistance se fait entendre, mais elle reste profondément traversée par les contradictions issues de cette histoire récente. Le PT, qui contrôle toujours la plus grande fraction des organisations populaires et syndicales, s’engage sans accepter aucune autocritique dans un mouvement contre Temer à visée électorale, avançant une nouvelle candidature de Lula comme objectif stratégique. La gauche radicale, très divisée, a beaucoup de peine à construire un rapport de forces qui puisse mettre en cause les fondements du système politique. Le succès de la grève générale pourra permettre d’ouvrir une nouvelle voie de mobilisation et d’intervention politique pour les masses populaires.

Thiago Saboga