Féminin-Masculin

Féminin-Masculin : La reproduction des inégalités entre hommes et femmes par le 2e pilier

En juillet dernier, l’Office fédéral des assurances sociales publiait une étude détaillée sur les écarts constatés entre les rentes de vieillesse perçues par les hommes et les femmes. Ces résultats démontrent, chiffres à l’appui, le rôle de pourvoyeur d’inégalité joué par le 2e pilier. Une raison de plus de refuser Prévoyance vieillesse 2020, dont le contenu tend à un renforcement de la LPP, et de soutenir un projet d’intégration du 2e pilier dans l’AVS.

Gregory Cassiau

Des écarts de rente de 37%

20 000 francs, c’est en moyenne ce que les retraitées perdent chaque année par rapport aux hommes dans la même situation selon les analyses de l’OFAS. Un écart de rente de 37% dans lequel le 2e pilier exerce une responsabilité majeure, puisque les différences de rente constatées dans l’AVS ne s’élèvent qu’à 3%, alors qu’elles atteignent plus de 60% en défaveur des femmes pour les rentes vieillesse de la LPP.

L’OFAS le reconnaît dans ses conclusions, l’explication tient aux différences fondamentales de conception de ces deux versants de la prévoyance vieillesse. Basé sur une cotisation solidaire de toutes les personnes en âge d’être actives, et sur l’entier du salaire, l’AVS redistribue ensuite à la retraite des rentes en fonction du nombre d’années de cotisation et du revenu sur lequel ces prélèvements ont été opérés, mais dont le montant le plus élevé ne représente au maximum que le double de la rente minimale. Prenant en compte des bonifications pour les tâches éducatives et d’assistance, ainsi que le splitting (prise en compte partagée des revenus réalisés par les conjoints durant les années de mariage), l’AVS contient également des mécanismes qui corrigent en partie les inégalités de revenus touchant particulièrement les femmes en raison des discriminations vécues sur le marché du travail et dans la répartition du travail domestique.

C’est bien tout le contraire qui est constaté dans le fonctionnement du 2e pilier. Fondé sur une capitalisation individuelle des personnes qui ont un emploi, limité aux tranches de salaire actuellement supérieures à 21 150 francs par an, le 2e pilier répercute intégralement dans les retraites les inégalités constatées durant la vie active. Une reproduction qui affecte majoritairement les femmes en raison de leur sur-représentation dans les emplois à bas salaire et/ou à temps partiel et de leurs fréquentes interruptions de carrière faute de développement de place d’accueil pour les enfants. Les résultats présentés par l’OFAS illustrent le poids de la répartition genrée des rôles dans ces différences puisque leurs analyses permettent de relever que les écarts de rente entre hommes et femmes sont particulièrement marqués chez les personnes mariées.

L’abaissement de la déduction de coordination, une solution?

Au terme de tous ces constats, l’OFAS ne peut que relever le rôle fortement égalisateur de l’AVS tandis que le 2e pilier est taxé de système de prévoyance «fortement individualiste». Alors que le bon sens voudrait donc que l’OFAS se livre à un plaidoyer en faveur du renforcement de l’AVS, l’Office offre au contraire une conclusion vantant les mérites du projet Prévoyance vieillesse 2020 en ce que celui-ci viserait à améliorer la situation des femmes par une augmentation de la couverture par le 2e pilier des personnes à temps partiel ou à faible revenu. Actuellement, la part de salaire assurée dans le 2e pilier se calcule en effet en rétrocédant du salaire annuel un montant fixe de 24675 francs, ce qui correspond au 7/8e de la rente AVS maximale. PV 2020 propose d’abaisser cette déduction de coordination pour les plus faibles revenus assurés à un montant de 14 100 francs afin d’augmenter, en théorie, les rentes les plus faibles du 2e pilier.

Plutôt positive au premier abord, cette mesure exemplifie cependant parfaitement que, souvent, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Se traduisant en une augmentation des prélèvements salariaux pour le 2e pilier, elle péjorerait directement le pouvoir d’achat des plus précaires, qui seraient déjà impactés par l’augmentation de la TVA prévue dans PV 2020. Un coût élevé, pour des rentes du 2e pilier loin d’être garanties sur le long terme en raison de l’instabilité des systèmes financiers.

Une mesure surtout qui va dans le sens inverse des conclusions exprimées par l’OFAS en renforçant en sous-main l’investissement dans la LPP. Couplée à une augmentation des pourcentages de cotisation pour les personnes de 35 à 54 ans, cette augmentation de la part de salaire assuré dans le 2e pilier se traduirait en effet par une augmentation substantielle des capitaux gérés dans le 2e pilier par les caisses de pension privées, avec le succès qu’on leur connaît…

Renforcer l’AVS pour moins d’inégalité entre retraitées et retraités

Les résultats présentés par l’OFAS démontrent, s’il en était besoin, qu’une optique de redistribution des richesses et d’égalisation des conditions de vie à la retraite ne peut passer que par un renforcement de l’AVS au détriment du 2e pilier. PV 2020 ne répond en aucun cas à ce projet, se contentant d’aménagement du 2e pilier qui couteront chers, tout en laissant toujours de côté les personnes qui gagnent actuellement moins de 21 150 francs par an chez le même employeur. Résultat quatre femmes sur dix en Suisse ne perçoivent aucune rente du 2e pilier et doivent ainsi vivre avec leur seule rente AVS.

Afin de cesser de colmater les brèches de la LPP en tentant des emplâtres sur une jambe de bois, il est plus que temps d’avancer sur la réflexion d’une intégration du 2e pilier dans l’AVS, seul pilier sûr et égalisateur de la prévoyance vieillesse!

Audrey Schmid