Colombie

Colombie : Vers un processus de paix incluant

Fin 2016, le président Juan Manuel Santos a reçu le prix Nobel de la paix. Si l’accord mettant fin au conflit avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) suscite des attentes importantes, la situation actuelle (assassinats et menaces contre des dirigeant·e·s de mouvements sociaux) provoque des interrogations sur la réelle volonté de paix de l’Etat colombien.


La délégation de l’ELN lors des négociations

L’Armée de libération nationale (ELN) se demande si la stratégie gouvernementale ne vise qu’à faire déposer les armes aux guérillas, en échange de changements purement cosmétiques. L’ELN dénonce donc le fait que le gouvernement ne remplit pas ses engagements, pour épuiser l’adversaire et renégocier avantageusement.

L’accord du 6.10.2016 prévoyait des libérations humanitaires, permettant d’ouvrir des négociations. L’ELN libérerait deux prisonniers avant le début des pourparlers, un troisième serait libéré lors de la première phase de 45 jours. Le gouvernement s’engageait à libérer deux personnes (d’après une liste de l’ELN) et deux dirigeants de cette organisation, actuellement détenus, seraient choisis pour participer aux négociations. L’ELN a respecté ses engagements, mais pas le gouvernement. Ainsi, les négociations (prévues à Quito, le 27.10) n’ont pu débuter.

Un traitement respectueux de l’ELN s’impose

Le 18 janvier, après plusieurs réunions tendues, les deux parties ont annoncé le dépassement des difficultés qui avaient empêché l’installation de la table de négociations, à savoir la grâce de l’Etat à deux guérilleros de l’ELN et la libération d’Odin Sánchez par la guérilla. Cette nouvelle situation a permis de trouver un accord et si tout se passe comme prévu, le 2 février, les guérilleros et Odin Sánchez seront libérés et le mardi 7 février marquera l’ouverture des négociations.

Pour l’avenir des conversations de paix, il est important de prendre en compte que l’ELN (organisation en rébellion, ayant pris les armes contre un Etat qu’elle n’est pas obligée de reconnaître, ni d’en accepter l’ordre juridique) exige un traitement respectueux. Concernant la justice et les délits politiques et connexes, ceux-ci doivent être débattus par toute la société et non par les seuls acteurs·trices du conflit.

Une question à traiter dans les négociations est le droit à la rébellion qui influera grandement des thèmes comme la justice et les victimes. Elle permettra d’identifier et de résoudre les causes de la rébellion, à l’origine des guérillas, et de les différencier par ailleurs des groupes, des fonctionnaires et des personnes utilisant la violence pour s’enrichir ou conserver des privilèges.

L’Etat doit assumer ses responsabilités

Dans son discours d’Oslo, le président Santos présenta un récit de la guerre accusant la guérilla d’être la principale cause de violence. Il a omis les décennies d’un terrorisme d’Etat impuni et la responsabilité, par action ou omission, des forces armées et des institutions étatiques. En 2016, 90 défenseurs·euses des droits humains et de dirigeant·e·s des mouvements sociaux furent assassinés, d’où la méfiance de l’ELN, préoccupée par «l’escalade de la persécution politique».

Pour les insurgé·e·s qui veulent écarter la violence de la lutte politique, ces agressions (observées impassiblement par l’Etat, qui ne poursuit pas l’extrême-droite violente) montrent que le régime n’est pas intéressé à une solution politique.

L’Etat colombien doit assumer ses responsabilités, en abordant les douleurs causées par la guerre dans toute la population, pas seulement parmi les élites. L’ELN est prête à conclure un cessez-le-feu bilatéral et à développer des actions humanitaires bilatérales favorisant une ambiance de paix. Pour avancer dans ce sens, les deux parties vont travailler étape sur ces actions et dynamiques humanitaires.

Les insurgé·e·s qui défendent la participation de la société aux négociations de paix ont invité «les juristes, les collectifs de défense des prisonniers politiques, les organisations non-gouvernementales, les universités et les organismes de défense des droits humains à prendre position et à participer à ces réflexions».

Par rapport à la participation de la société, des faits comme l’échec du référendum et des initiatives citoyennes comme les rencontres régionales de paix, la table sociale pour la paix ou le mouvement Paix dans la rue ont montré la nécessité d’un processus, où les personnes et les organisations jouent un rôle effectif.

Un défi pour le mouvement populaire

La négociation doit dépasser les acteurs armés (guérilla et gouvernement) et les élites politiques, académiques et économiques. Le processus (négociation, suivi et mise en vigueur des accords) inclut toutes les forces sociales, y compris l’immense masse de la population, sceptique, non organisée, ne votant ni se manifestant. La corruption, le clientélisme et la peur ont vidé de tout contenu la participation des communautés et de la majorité de la population à la politique et à la construction de solutions à leurs problèmes. Le processus de paix ELN-gouvernement peut aider à affronter ce désintérêt et cette apathie, en sauvant le caractère transformateur de la participation et de la politique.

Le défi du mouvement populaire, c’est de s’approprier le processus et de générer une dynamique transcendant les limites voulues par l’Etat. A l’étranger, les rencontres transfrontalières (cabildos transfronterizos, incluant émigré·e·s, réfugié·e·s et exilé·e·s) sont un pas dans cette direction. En Europe, les personnes engagées en faveur de ces propositions souhaitent participer aux espaces de paix et aux négociations entre la guérilla et le gouvernement, en proposant des alternatives qui leur permettent de conquérir des droits et d’influer sur les relations avec l’Etat colombien et les pays où elles résident. La paix se construit sur tous les terrains et tous les secteurs, elle appartient à tous et à toutes ou elle ne sera pas.

Diego Gómez

Traduction de l’espagnol: Hans-Peter Renk