25 ans de «réformes» pour réduire les impôts des riches et démonter les assurances sociales

La campagne concernant la réforme de l’imposition des entreprises (RIE 3), qui sera votée le 12 février, bat son plein. Pour la faire passer, l’armada habituelle invoque une batterie d’arguments «court-termistes» et basés sur le chantage. Face à cette vague hystérique, il faut prendre du recul et voir cette RIE 3 dans une chronologie et un contexte, ce que veulent à tout prix éviter ses partisan·e·s.

En effet, cet exercice met en lumière la ligne idéologique ultralibérale qu’ils suivent, la révélant aux yeux d’une plus large part de la population: elle est basée sur toujours plus de nouveaux cadeaux fiscaux aux grandes entreprises, financés par les coupes dans les prestations sociales. On sucre nos acquis sociaux pour subventionner les actionnaires qui font pression sur nos salaires et, ce faisant, on pousse l’Etat à privatiser toujours plus de tâches, pour créer de nouvelles sources de profits pour ces mêmes actionnaires.

Une étude bienvenue de l’Artias

C’est dans ce contexte de campagne RIE 3 que l’Artias – Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale – publie son dossier de janvier 2017, y analysant un quart de siècle de réformes fiscales et des assurances sociales. Placer ce vote dans le contexte passé et récent est indispensable tant réformes, initiatives, référendums s’accumulent: facile de se sentir perdu.

Mais les réformes proposées ou acceptées, ces 25 années ont un fil conducteur, celui des offrandes continuelles aux entreprises et à leurs détenteurs, et des remises en question permanentes des assurances sociales de la population, notamment retraitée, invalide ou au chômage. Avec l’installation toujours plus poussée d’un libéralisme assumé visant à toujours moins d’Etat et à opérer un énorme transfert de richesses de la population vers les gros actionnaires: les capitalistes.

L’étude de l’Artias se décompose en trois parties. Des constats aussi neutres que possible, une chronologie des principales réformes (hors LAMal: trop complexe) et leurs aspects essentiels, une analyse de l’enchaînement de ces réformes et de leurs liens.

Des coïncidences qui n’en sont pas

Premier constat tiré par l’Artias: des coïncidences étranges, relevant d’«une concordance des temps», ont eu lieu à de nombreuses reprises. Les cas de réformes en faveur des entreprises suivies immédiatement de coupes dans les assurances sociales sont si fréquents qu’il est difficile de ne pas y voir une ligne. Ainsi, en mars 2011, le Conseil fédéral annonce que la deuxième réforme sur l’imposition des entreprises (RIE 2) acceptée de justesse (50,5 %) en février 2008 coûtera 600 millions par an, soit dix fois plus cher qu’annoncé pendant la campagne. Et au 1er avril 2011 est appliquée sans gêne la 4e révision de la Loi sur l’assurance-chômage avec 622 millions de coupes dans les prestations à la clé.

En juin 2016, pour prendre un autre exemple, le Parlement met sous toit la RIE 3 dont les coûts pour les collectivités publiques pourraient dépasser 3 milliards par an. Ce même Parlement débat en automne 2016 de la réforme de la prévoyance vieillesse et du programme de «stabilisation budgétaire» (des économies) qui doit compenser en partie les pertes dues à la RIE 3…

Des cadences délibérément infernales

Deuxième constat: un rythme édifiant des «réformes». Notamment concernant les «massicotages» successifs de l’Assurance-invalidité: cinq réformes entre 1997 et 2014. Suite à la 4e révision appliquée en 2004, le message de la 5e est formulé en juin 2005. Et après l’entrée en vigueur de la 5e révision en 2008, le message concernant la 6e date de 2009! Le rythme est même trépidant pour les cadeaux fiscaux aux entreprises: en particulier, la diminution du droit de timbre a été discutée sept fois entre 1991 et 2001, quatre fois entre 2002 et 2010. La première consultation sur la RIE 3 date de 2013, soit 2 ans après que le Conseil fédéral ait reconnu le «surcoût» de la RIE 2.

Et selon l’Artias les propositions de nouveaux cadeaux fiscaux aux entreprises ne sont pas prêtes de s’arrêter: tout au moins la question des droits de timbre et de la taxe au tonnage ont été sortis de la RIE 3, et devraient être traités par la suite. Un tel rythme permet-il d’avoir le recul nécessaire pour évaluer l’impact de la précédente réforme? Poser la question, c’est y répondre. Le but n’est-il pas de submerger la population, sans temps de réaction ni d’information, afin de la guider sans son consentement? Une «stratégie du choc» de l’offensive néolibérale, pour paraphraser Naomi Klein.

Refuser cette chevauchée abjecte c’est le sens de notre non à la RIE 3

Troisième constat: le discours ou le comportement qui accompagne ces réformes, notamment celui du Conseil fédéral, a pu parfois être édifiant. Ainsi, dans ses «Lignes directrices» du 11 octobre 1999, il l’affirmait: «les impôts indirects doivent occuper une place plus importante, le système fiscal doit être aménagé de manière à préserver et renforcer l’attrait de notre site économique». Autrement dit: le Conseil fédéral méprise le principe de capacité contributive pour remplacer l’impôt direct par des taxes identiques quel que soit le revenu.

En termes de comportement, la rapidité de traitement est révélatrice: la RIE 2 a été traitée en six mois, et l’entrée en vigueur des révisions des droits de timbre de 1998 et 2000 a suivi de quelques jours leur acceptation! Tambour battant pour les grandes entreprises et leurs actionnaires! Taïaut!

Dans un message concernant le «programme d’assainissement» de 1993, le Conseil fédéral avouait que les problèmes financiers avaient été aggravés par les allègements fiscaux des années précédentes. Donner aux plus riches en prenant au 99 % de la population? Un non à cette RIE 3 c’est refuser cette chevauchée abjecte!

Aurélien Moreau