Un canton paradis fiscal pour entreprises, plein de millionnaires et... pauvre

La capacité pour des salarié·e·s d’économiser est significative de leur marge par rapport à un salaire et à leurs obligations familiales, ainsi que de l’amortisseur utilisable en cas de difficultés (maladies, chômage). Comme l’a justement rappelé Guy Zurkinden (Services publics, 2 décembre 2016), l’argent en Suisse est très inégalement réparti et un bon indice pour révéler les inégalités de classe est celui de la répartition de la fortune imposable. Le contexte des plans d’austérité et de réformes fiscales présentés dans le canton de Neuchâtel permet de mieux apprécier les conséquences fiscales et sociales d’une réforme fiscale anticipant le projet RIE 3 que solidaritéS, parmi d’autres, avons combattu en 2011.

Un canton de pauvres

En 2013, la fortune moyenne imposable dans le canton était de 150’000 francs. Cela semble accréditer l’image d’une Suisse riche et d’une bonne classe moyenne. En analysant dans le détail la répartition de la fortune, nous avons une image très différente.

La répartition de la fortune imposable (donc hors dettes et hypothèques) était la suivante:

0 – 1000 francs 38,0 %
1000 – 10 000 francs 11,6 %
10 000 – 50 000 francs 17,0 %
50 000 – 100 000 francs 8,6 %

Donc plus de la moitié des contribuables possèdent au maximum 10 000.- de fortune! Mais la majorité de ce groupe (38 %) a moins de milles francs! Pour un pays si riche, c’est un peu mince. Cette population voyage en 3e classe, sans même un gilet de sauvetage. Les deux tiers (67 %) ont au maximum 50 000 francs. Nous sommes très loin de la classe moyenne tant de fois présentée comme constitutive de la majorité des salarié·e·s.

Autre surprise. La fortune moyenne calculée est de 150 000 francs. Or le 76 % des contribuables ne déclare même pas une fortune imposable de 100 000 francs! Cela montre clairement que la probabilité d’avoir une fortune de 150 000 francs n’est pas uniformément répartie. La distribution de la fortune demeure très inégalitaire, et la probabilité d’avoir de la fortune ne dépend pas de votre capacité à travailler dur et à épargner. La fortune reste un privilège de classe, il n’est nullement le fait du hasard.

Mais aussi de millionnaires

Cela devient encore plus clair lorsque nous regardons du côté des grandes fortunes. Comment sont-elles réparties?

La fortune nette imposable au-dessus de 1 000 000 francs (un million) est détenue par 2,4 % des contribuables, soit 2664 nanti·e·s. Ceux·Celles-là méritent pleinement l’adjectif de privilégié·e·s.

Cela démontre indiscutablement une répartition de classe pour la fortune. N’est pas millionnaire qui veut (à part les joueurs chanceux) et ce n’est pas en économisant mois après mois qu’on le devient. Mais en s’appropriant le travail des autres employé·e·s. Le calcul est simple à faire: combien de mois faut-il à un·e employé·e économisant 1000 francs par mois pour accumuler un million? Mille mois. Je vous laisse convertir cela en années.

Il est intéressant de constater que du côté des millionnaires (2,4 %) la fortune imposable moyenne est de 2,9 millions. A comparer à la fortune moyenne de 150 000 francs et au fait que 50 % ont au plus 10 000 francs. Il est aussi intéressant de constater que ces millionnaires ont payé en moyenne 13 530 francs d’impôt sur leur fortune, soit un taux de 0,47 %.

Bien entendu, nous pouvons estimer que ces chiffres représentent un minimum puisque les possibilités d’évasion fiscale (mieux connues dans les milieux bancaires sous le terme «d’optimisation fiscale») sont largement connues.

Neuchâtel devient un paradis fiscal

Le conseiller d’Etat Karakash le reconnaît lui-même: «les richesses circulent mal» (L’Impartial, 5 décembre 2016). Il faut reconnaître qu’il n’a pas fait grand-chose pour changer cette situation. Ou plutôt si, mais pour que leur circuit reste toujours le même et que les riches non seulement gagnent davantage, mais payent aussi moins d’impôts. La dernière réforme fiscale du canton, si elle a mis fin au scandale des dérogations (des entreprises ne payaient pas d’impôt sur leurs bénéfices), a aussi baissé les taux d’imposition sur le capital, passant de 0,5 pour mille à 0,005 pour mille et en imputant l’impôt sur le bénéfice à l’impôt sur le capital et baissé celui sur les bénéfices. L’impôt sur le bénéfice des entreprises (supérieur à 40 000 francs) est passé de 10 % en 2011 à 5 % en 2016.

Autre déclaration contestable de Monsieur Karakash «il faut tordre le cou à l’idée que la réforme de l’imposition des entreprises aurait privé l’Etat de recettes» (ibid.). Les graphiques ci-dessous montrent clairement comment les rentrées fiscales se sont écroulées alors que le capital imposable continuait d’augmenter.

«Nous ne sommes pas dans une démarche dogmatique d’austérité» rappelle encore celui qui justifie pleinement le dernier plan d’économies de 100 millions.

Afin d’éviter les conséquences dramatiques pour le service public de ce plan d’austérité, le SSP administration cantonale a lancé deux propositions, au travers de motions populaires. Une taxe de 1 % sur les millionnaires, qui rapporterait environ 77 millions. La deuxième, le rétablissement de l’impôt sur le capital à son niveau antérieur à la réforme, rapporterait environ 22 millions. M. Karakash, n’est-ce pas là un bon exemple de redistribution sociale, dont se réclame le PSS?

José Sanchez

Article initialement publié dans Service Public du SSP Romand.