Banque cantonale ...suite et pas fin


Banque cantonale…suite et pas fin


Dix mois après la mise en place du sauvetage de la Banque cantonale de Genève, les réalités financières et comptables sont aujourd’hui connues. Les conséquences pénales, judiciaires et politiques sont encore à venir.

Bernard Clerc

Rappelons que 5 milliards de crédits à risques sur des objets immobiliers ont été transférés à une fondation de valorisation afin de soulager le bilan de la BCGe et de lui éviter la faillite. Cette fondation a pour objectif de réaliser ces actifs dans les meilleures conditions possibles afin d’éviter le bradage de ces biens et de limiter les dommages pour la majorité d’entre nous.


Après plusieurs mois d’activité, la fondation a pu établir le montant des pertes prévisibles sur la base de l’évaluation de la valeur des immeubles transférés. Celui-ci s’élève, compte tenue d’une estimation prudente, à 2,7 milliards de francs. Mais les coûts pour l’Etat de Genève ne s’arrêtent pas là puisque le canton doit supporter le différentiel entre les frais de fonctionnement de la fondation (y compris les intérêts payés sur la somme de 5 milliards) et les rendements des immeubles dont elle a la charge, à savoir 100 millions par an. A noter cependant qu’au fur et à mesure de la vente des immeubles, le prêt de 5 milliards diminuera d’autant ainsi que les frais d’intérêts y relatifs et que les frais de fonctionnement de la fondation devraient, sur le long terme, être remboursés à l’Etat.


Un véritable pillage


Le canton a donc provisionné 2,7 milliards sur les comptes 2000 afin de faire apparaître immédiatement les conséquences de la débâcle de la BCGe. Pour bien mesurer l’importance des pertes subies il faut savoir que la provision de 2,7 milliards représente le 47% des comptes 2000 du canton ou encore 13% du revenu cantonal annuel. Ce chiffre est considérable et montre bien que la BCGe (et surtout la Caisse d’épargne et la Caisse Hypothécaire d’avant la fusion) ont fait l’objet d’un véritable pillage de la part d’un certain nombre d’affairistes avec la complicité des organes dirigeants de ces établissements. Au moment de la fusion, la réalité a été masquée sous le couvert du secret bancaire puisque le total des provisions constituées en 1994 s’élevait à 800 millions ! En 1997, lors du débat sur la demande de l’ADG de constituer une commission d’enquête, le conseiller d’Etat Olivier Vodoz affirmait au Grand Conseil que les risques s’élevaient à un milliard et qu’ils étaient tous provisionnés…


Le choix politique


Pour comprendre le choix politique, que nous avons soutenu, d’éviter la faillite de la Banque cantonale, il faut cependant mettre en balance les coûts encore plus considérables qu’auraient signifié la fermeture de cet établissement public de crédits. Pour mémoire la garantie de l’Etat au 31 décembre 1999 s’élevait à 4,5 milliards, la perte du capital action pour le canton et les communes se serait élevée à 227 millions (non compris les actions au porteur rachetées par l’Etat), la suppression des 900 emplois de la BCGe et enfin les risques non négligeables de faillites pour les entreprises bénéficiaires de lignes de crédit auprès de l’établissement bancaire, avec leurs conséquences pour les salarié-e-s de ces entreprises. Enfin, une faillite de la BCGe aurait eu des impacts sur la reprise de la croissance avec une hausse du chômage et des charges sociales pour le canton. En d’autres termes, il s’agissait de choisir le scénario le moins dommageable pour la collectivité.


Trouver les responsables


Maintenant que la réalité financière est connue, il convient d’agir pour déterminer les responsabilités de cette débâcle. Les récentes inculpations de trois anciens dirigeants de la BCGe, Dominique Ducret (ancien conseiller national PDC et président du Conseil d’administration), Marc Fues et René Curti (tous deux anciens directeurs) et de deux réviseurs de la société Atag est un premier pas. Dès la mise en place du plan de sauvetage de la BCGe, solidaritéS avait estimé que les collectivités publiques concernées, particulièrement le Canton et la Ville de Genève, devaient porter plainte. Certains, y compris au sein de l’ADG, craignaient qu’une telle action n’aggrave la situation de la banque en créant la panique chez les épargnants. Nous n’étions pas de cet avis car nous pensions que la mise en évidence des responsabilités fait au contraire partie du rétablissement de la confiance.


Un premier pas


Actuellement, les dommages étant chiffrés il est évident que la réalité financière de la BCGe a été masquée. C’est pourquoi l’ADG a écrit au Conseil d’Etat pour lui demander d’entreprendre toutes les actions pénales et civiles destinées à poursuivre les responsables. Les difficultés de ces procédures permettront aussi de montrer les limites du droit bourgeois, en particulier de la législation suisse, lorsqu’il s’agit de sanctionner des spéculateurs, de les contraindre à réparer les torts commis envers la communauté, mais aussi de les empêcher (les mêmes ou leurs semblables) de nuire à nouveau. Une véritable leçon de choses à propos des finalités de l’ordre économique, social, politique et juridique libéral… Le Conseil d’Etat a décidé de se porter partie civile, ce qui permettra d’avoir accès au dossier pénal. Au niveau de la Ville de Genève, Mouhanna, élu de l’ADG (solidaritéS-Indépendants) a déposé une motion invitant le Conseil administratif «à engager, sans délai, des actions appropriées, dont le dépôt d’une plainte pénale avec constitution de partie civile, afin de déterminer les responsabilités au niveau des organes de la banque notamment, et d’obtenir réparation pour le préjudice subi par la collectivité genevoise». Personne n’ignore que les procédures seront longues et que, malheureusement, les délits de type financier ne sont pas faciles à démontrer et qu’ils ne sont guère sanctionnés au regard d’autres types de délits. C’est cependant une question de principe sur laquelle il ne faut pas transiger.


Sur le plan politique enfin, il faudra bien que ceux qui ont couverts ou fait aveuglément confiance aux anciens dirigeants de la Banque cantonale assument leurs responsabilités. Ils sont bien silencieux ceux qui, au Grand Conseil, vitupéraient contre l’ADG lorsque nous posions des questions gênantes sur la BCGe et ce, depuis 1994. Tous les partis de droite ont combattu notre projet de loi visant à un contrôle accru sur la Banque sous prétexte qu’il ne fallait pas la «politiser» et que les pouvoirs publics n’avaient pas à se mêler d’activités bancaires. Pour eux, les pouvoirs publics ne sont là que pour éponger les pertes. Alors, qu’ils assument les conséquences de leurs choix politiques!