Colombie

Colombie : El Hatillo, la malédiction du charbon

La richesse d’une région ne fait pas toujours la bonne fortune de ses habitant·e·s. Ceux·celles du village d’El Hatillo, dans le département du César, au nord de la Colombie, en font l’amère expérience. Tatiana Rojas et Francesco Gerber, deux coopér-acteurs (volontaires) suisses se sont engagés avec l’ONG COMUNDO pour soutenir pendant trois ans la communauté d’El Hatillo. Ils·Elles nous ont raconté le quotidien de ce hameau de 190 familles qui tentent de survivre entre deux mines de charbon à ciel ouvert, en attendant un relogement forcé.

A partir des années 90, les terres voisines du village d’El Hatillo ont commencé à être utilisées par l’Etat colombien pour l’exploitation minière avant de passer entre les mains des firmes multinationales étrangères. Drummond et CNR Goldmann Sachs, deux entreprises américaines et la firme suisse Glencore-Prodeco se sont vues dérouler le tapis rouge au nom de la «locomotive minière», stratégie économique actuelle de l’Etat colombien basée sur l’intensification de l’extraction et de l’exportation du charbon qui représente aujourd’hui 7,5 % du PIB du pays.

Mais les habitant·e·s d’El Hatillo n’ont pas reçu de ticket pour le train de la prospérité… 20 ans après le début de l’exploitation minière, le Secrétariat de la Santé du Département du César indiquait que 51,48 % des habitant·e·s d’El Hatillo souffraient de problèmes de santé liés à la pollution de l’environnement comme des troubles respiratoires, des maladies dermatologiques et oculaires.

En raison des taux trop élevés de pollution de l’eau, des sols et de l’air, le Ministère de l’Environnement colombien a décrété la zone comme étant invivable et a ordonné aux entreprises minières de prendre en charge le relogement de la population.

Des négociations interminables

Dans son décret de 2010, le Ministère de l’Environnement prévoyait un relogement des habitant·e·s en 2012 dans des conditions similaires ou meilleures aux conditions de vie d’avant l’exploitation minière. Six ans plus tard, rien n’a changé si ce n’est les pics de pollution qui continuent de grimper.

Une des plus grandes pierres d’achoppement qui fait obstacle à l’avancée des négociations est la question de la quantité de la terre à restituer aux habitant·e·s. Aux propositions minimalistes des multinationales, les représentant·e·s de la communauté opposent leur droit à recevoir, en plus des parcelles de leurs habitations, des terres pour produire. Avant l’arrivée des multinationales minières, les familles vivaient de l’élevage, de l’agriculture et de la pêche. Aujourd’hui, la rivière a été détournée et asséchée, la faune et la flore ravagées par la pollution et la terre privatisée.

Pour Tatiana Rojas qui accompagne les représentant·e·s dans les négociations, la stratégie des multinationales a été de nier jusqu’à présent le statut d’agriculteurs·trices aux habitant·e·s d’El Hatillo en utilisant l’argument de l’absence de titres de propriété. Le village s’est en effet construit sur les problématiques terres baldías, propriétés de l’Etat et libres de statut foncier. Reste que, selon la Loi 160 ou Loi de Réforme Agraire adoptée en 1994, ces terres doivent être allouées aux paysans qui les habitent et cultivent pendant au moins 5 ans. L’argument légaliste de la propriété semble donc bien simpliste puisque on touche ici au problème de fond de la répartition des terres en Colombie, l’une des principales causes d’un conflit armé long de plus de 50 ans.

En attendant le nouvel Hatillo

«Nous sommes fatigués, usés, maltraités, malades et nous ne comprenons pas pourquoi nous n’avons toujours pas quitté notre territoire», a déclaré la communauté d’El Hatillo dans un communiqué public datant de juillet 2016. Comme pour la quantité de terres, à chaque point de négociations, David doit affronter Goliath. Depuis 6 ans, les leaders de la communauté travaillent en moyenne 131 heures par mois pour le relogement. A plusieurs reprises, ils·elles ont reçu des menaces de mort, accusés d’être responsables de la lenteur des négociations, un discours martelé par les entreprises.

Aux espoirs deçus s’ajoute un rapport de dépendance. Le décret de 2010 a reconnu que les entreprises sont également responsables de fournir des conditions de vie décente à la population en attendant le relogement. Ainsi, la population, sans emploi après la disparition de l’agriculture et de l’élevage, survit désormais grâce aux 300 000 pesos accordés par mois par les multinationales, soit environ 100 francs suisses.

Les habitant·e·s d’El Hatillo, déclaré en crise alimentaire en 2013, se nourrissent avec un panier alimentaire, également fourni par les entreprises. Tatiana et Francesco nous ont fait part d’une anecdote éclairante à ce sujet. La communauté a réclamé qu’un fruit soit ajouté à ce panier principalement constitué de produits non périssables, des céréales et de l’huile. Il a fallu 4 mois pour que les entreprises statuent sur la pomme de la discorde. Et, sous couvert de l’expertise d’une nutritionniste payée par les multinationales, il a été décidé de ne pas octroyer un fruit supplémentaire mais de remplacer le riz blanc par du riz complet et les sardines par des saucisses…

Malgré tout, la communauté garde espoir dans ce qu’elle nomme «le nouvel Hatillo». Verra-t-il le jour? La question reste entière alors que les multinationales ont récemment ouvert une procédure judiciaire pour contester le décret de 2010.

Pauline Garcia

COMUNDO