Turquie

Turquie : Faire échec aux forces autoritaires

L’autoritarisme du gouvernement de l’AKP ne cesse de croître et de s’abattre de manière toujours plus violente sur toute opposition démocratique et progressiste. Une mobilisation solidaire internationale est urgente.

La dernière campagne de répression a visé les deux co-présidents du Parti démocratique des peuples (HDP) Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, et neuf autres parlementaires du même parti arrêtés le 3 novembre par la police turque. La police a également conduit des perquisitions dans les locaux du HDP à Ankara durant cette période. Dans la foulée de ces arrestations d’une dizaine de député·e·s HDP, l’accès au réseau social Twitter et à la messagerie WhatsApp a été bloqué en Turquie.

Répression tous azimuts

Ces campagnes de répression suivent d’autres mesures comme l’arrestation, le 25 octobre, de Gülten Kisanak et de Firat Anli, les co-maires de la ville de Diyarbakir, à majorité kurde. A la mi-novembre, la police arrêtait trois autres maires membre du HDP dans le sud-est du pays à majorité kurde (Van, Siirt et Tunceli), accusés de liens avec le PKK. Ces municipalités sont depuis lors dirigées par des officiels turcs, nommés par Ankara.

Le gouvernement de l’AKP s’efforce en même temps de faire passer une loi réactionnaire qui permettrait aux hommes accusés d’avoir abusé sexuellement des jeunes filles (dans les cas d’abus sexuels commis «sans force, menace ou astuce») d’éviter toute condamnation s’ils épousent leur victime. Les opposant·e·s à cette loi rassemblent des dizaines de groupes de défense des droits humains, des associations de femmes, des ONG pour la protection des mineur·e·s, etc… Cette loi normaliserait l’abus sexuel et le mariage des mineures.

Plusieurs milliers de membres du HDP, dont de nombreux dirigeants et maires, ont été arrêtés depuis l’été 2016. Face à cette situation, le HDP a annoncé le 6 novembre dernier se retirer de toute activité au parlement en guise de protestation. En outre, le 1er novembre, la police turque a arrêté le rédacteur en chef et plusieurs journalistes de Cumhuriyet (La République), principal quotidien d’opposition.

«Nous ne nous rendrons pas»

Cette situation n’a pas empêché les forces démocratiques et progressistes, dont le HDP, des associations représentant des minorités, des organisations de femmes et des syndicats, d’organiser à Istanbul, le dimanche 20 novembre, un grand rassemblement avec comme mot d’ordre central: «Nous ne nous rendrons pas! »

Toutes ces arrestations ont eu lieu dans le cadre de l’état d’urgence qui a été prolongé à nouveau pour trois mois, le 19 octobre, et de la soi-­disant «lutte contre le terrorisme», qui est un moyen pour attaquer toutes les formes d’opposition au gouvernement autoritaire de l’AKP.

En même temps, le gouvernement de l’AKP a créé une commission avec le parti d’extrême droite nationaliste MHP pour réformer la constitution afin de renforcer le pouvoir exécutif du président de la république, et donc de Tayyip Erdogan.

Depuis l’échec du coup d’Etat d’une fraction de l’armée, en juillet 2016, le gouvernement a poursuivi son propre coup d’Etat institutionnel, en renforçant son pouvoir autoritaire et son emprise sur les institutions. Plus de 125 000 personnes ont été licenciées ou suspendues, et 37 000 ont été arrêtées, tandis que 160 médias (journaux, magazines, sites web) et les locaux de plus de 1490 organisations non gouvernementales, y compris des ONG pour la défense des droits humains, droits des femmes et des enfants, étaient fermées. A la mi novembre, le gouvernement turc a par exemple clôt une série d’organisations féministes le jour de la réunion de coordination de l’organisation féministe de la Marche Mondiale des Femmes (MMF).

A la mi-novembre, les autorités judiciaires ont licencié encore 203 juges et procureurs invoquant leurs liens supposés avec l’organisation de l’imam turc Fethullah Gülen, accusé d’être l’instigateur du coup d’Etat militaire avorté. Les universités ont été également privées de la compétence d’élire leurs propres recteurs; Erdogan les désignera désormais directement parmi des candidats désignés par le Conseil Supérieur de l’Education (YOK).

Une offensive réactionnaire régionale

La Turquie continue à bombarder des régions à majorité kurde en Syrie et poursuit son intervention militaire directe et son soutien à des groupes armées de l’opposition syrienne pour déloger les combattants de l’Etat Islamique et du PYD, organisation sœur du PKK en Syrie. La priorité sur le terrain est donnée à la lutte contre l’autonomie et à la prévention de toute expansion des forces kurdes du PYD au nord-est de la Syrie.

Dans ce cadre, l’accession de Donald Trump à la présidence des USA favorisera probablement les ambitions de l’AKP d’avoir les mains libres dans la région. Les médias progouvernementaux turcs ont en effet ouvertement exprimé leur sympathie pour le candidat républicain durant sa campagne et au lendemain de son élection. Même s’il est encore difficile de se faire une idée de la future politique étrangère de Trump en raison de ses déclarations contradictoires, celui-ci soutiendra sans doute encore plus les régimes autoritaires de la région dans le cadre de la «guerre contre le terrorisme».

Dans ces conditions autoritaires et de répression tous azimuts, le rassemblement des forces sociales et politiques démocratiques et progressistes est indispensable pour répondre à l’hégémonie des forces autoritaires, nationalistes et conservatrices rassemblées autour de l’AKP, pour permettre la défense des droits démocratiques et sociaux, mais aussi la paix et l’autodétermination du peuple kurde. solidaritéS réitère son soutien et sa solidarité aux résistances et aux mouvements populaires qui s’engagent à poursuivre ces luttes.

Joseph Daher