Dumping fiscal

Dumping fiscal : La RIE 3 arrive à Fribourg

Mercredi 12 octobre, 400 salarié·e·s de la fonction publique manifestaient dans les rues de la ville de Fribourg. A l’appel du Syndicat des services publics (SSP), du Parti socialiste et des Verts, les manifestant·e·s protestaient contre le projet cantonal de la Troisième Réforme de l’imposition des entreprises (RIE 3). Egalement pointés du doigt, des engagements non tenus du Conseil d’Etat en matière de salaires et de postes dans la fonction publique, après le « personnal stop » (blocage des salaires) lancé en 2013 par le même gouvernement. Entretien avec Gaétan Zurkinden, secrétaire régional du SSP – région Fribourg, et de Wyna Giller, militante du SSP.


Les trois candidat·e·s de la gauche au Conseil d’Etat. Une gauche qui soutient la RIE3

Le Conseil d’Etat a annoncé au début du mois d’octobre une revalorisation salariale de 4 millions de francs. En quoi est-ce insuffisant?

Depuis 2013, le Conseil d’Etat fribourgeois a décidé de coupes salariales drastiques: une contribution dite « de solidarité » a été prélevée sur la part de salaire supérieure à 3000 francs (1,3% en 2014, 1% en 2015 et 2016) ; les augmentations salariales ont été supprimées en 2014, et réduites de moitié en 2015 et 2016 ; enfin, le gouvernement a décidé de geler toute indexation des salaires. Pour les salarié·e·s de la fonction publique et parapublique fribourgeoise, le manque à gagner a été important: 8000 francs pour une aide-soignante, 10 000 francs pour une infirmière, 12 000 francs pour un enseignant du Cycle d’orientation. Fribourg est le seul canton de Suisse dans lequel le gouvernement a cumulé trois mesures d’économies!

On pourrait donc croire que la situation financière de l’Etat de Fribourg est difficile. En réalité, il n’en est rien! En 2013, la fortune de l’Etat de Fribourg était proche du milliard de francs. Trois ans plus tard, elle se monte à 1,2 milliard de francs, elle a donc augmenté de 20%. On peut donc dire que l’Etat de Fribourg a la situation financière la plus saine parmi tous les cantons de Suisse. Cela ne rend que plus invraisemblable la politique d’austérité qui est menée par le gouvernement dans son ensemble, je le souligne: aussi bien les ministres de droite que ceux de gauche (PS et Verts) soutiennent ce programme d’économies.

Dans les grandes lignes, comment décrivez-vous le projet de RIE 3 fribourgeois?

Un gigantesque cadeau fiscal aux patrons et aux actionnaires, comme au plan fédéral et dans l’ensemble des cantons de Suisse. Le Conseil d’Etat fribourgeois propose ainsi de diminuer de 30% l’imposition sur le bénéfice des entreprises (qui passerait de 19,63% à 13,72%) et jusqu’à 40 fois l’imposition sur le capital (de 0,16% à 0,004%). C’est la politique des caisses vides dans toute sa splendeur: on diminue les recettes fiscales pour, dans un deuxième temps, adopter des programmes d’austérité permettant d’économiser dans le service public et parapublic fribourgeois. Ainsi, la RIE 3 aura pour conséquence une perte de recettes de 45 millions de francs dès le 1er janvier 2019, et de plus de 80 millions de francs 10 ans plus tard, en 2029. Bien entendu, ce sera aux salarié·e·s et à la population de casquer!

Neuchâtel, Vaud, Genève, Bâle puis maintenant Fribourg: les baisses d’impôts pour les actionnaires essaiment toujours plus. Comment l’empêcher à Fribourg?

Comme ailleurs, il n’existe qu’une méthode, dans le fond: l’organisation collective des salarié·e·s sur leur lieu de travail, et la mobilisation, en particulier le recours à la grève. Sans cela, tout autre moyen de lutte – par exemple le référendum – ne peut qu’être voué à l’échec. Seule la mise en mouvement des salarié·e·s peut créer une polarisation, un débat, dans l’espace public, permettant ensuite de créer un véritable mouvement d’opposition. Tout le reste n’est que littérature. Bien entendu, c’est difficile. Mais c’est la véritable tâche, la fonction élémentaire, du mouvement syndical: stimuler l’organisation des salariés sur leur lieu de travail, pour leur donner la possibilité de se faire entendre et de faire contrepoids aux contre-réformes portées par le patronat.

Quelles sont les revendications du SSP – Fribourg en matière de prestations et de conditions de travail dans la fonction publique?

La priorité, sans aucun doute, est de créer un mouvement de mobilisation contre la politique d’austérité du gouvernement. Car de nouvelles mesures d’économies vont, certainement, frapper la fonction publique et parapublique fribourgeoise dans les mois et les années prochaines. Dans l’immédiat, le SSP – région Fribourg soutient le référendum contre la suppression du statut du personnel de l’Etat de Fribourg pour le personnel de l’Etablissement cantonal d’assurance des bâtiments (ECAB): si elle est acceptée, cette suppression fera boule de neige et visera d’autres établissements publics, par exemple l’Hôpital fribourgeois (HFR).

Y aura-t-il des suites à cette manifestation?

Certainement. Aujourd’hui, l’enjeu central pour le personnel de la fonction publique et parapublique fribourgeoise est de briser le tabou de la grève, comme l’ont déjà fait les salarié·e·s à Genève et dans le canton de Vaud. Car un vaste mouvement de grève est le seul moyen de faire reculer un gouvernement. On part de loin: jusqu’à l’an dernier, le droit de grève était interdit à l’ensemble du personnel de l’Etat. Suite aux mouvements de grève à la Buanderie de Marsens et à la crèche de l’HFR, le Conseil d’Etat a dû le reconnaître. Reste, dorénavant, à se l’approprier collectivement. C’est notre travail pour les dix prochaines années!