Amiante

Amiante : Les victimes, grandes absentes de la Table ronde fédérale

Lorsque Asbestopfer et CAOVA, puis L’USS, ont demandé à l’Etat qu’une Table ronde planche sur la constitution d’un Fonds d’indemnisation pour les victimes oubliées de l’amiante, nous escomptions que celles-ci y soient conviées et écoutées. En effet, il était impossible aux participants de décider d’un mode de réparation du Fonds sans connaître les doléances et les attentes des premiers intéressés. Or, au cours des quatre premières sessions, non seulement aucun représentant des victimes n’a pu s’exprimer, mais la Table ronde tend à préjuger de leurs besoins, les réduisant à un vague « soutien psychologique ».


Tiffet

Bien qu’ayant assisté  des centaines de victimes depuis 14 ans, ni Asbestopfer, ni CAOVA, promoteurs et actifs à cette Table ronde, ne peuvent, ni ne veulent se substituer aux principaux intéressés. Seuls ceux et celles qui ont subi les ravages de l’amiante dans leur chair ainsi que leurs proches, qui les ont vus mourir, peuvent témoigner du tort qui leur a été fait et exiger que justice leur soit rendue.

Un « soutien psychologique » ne peut être dispensé qu’aux personnes dans le désarroi, qu’il soit psychique, physique ou affectif. Or, rien de tel n’affecte les victimes de l’amiante ni leurs proches. Ceux-ci sont certes ébranlés par la souffrance, l’agonie et la mort d’un proche, mais nullement affectés psychiquement pour autant. Au contraire, cette épreuve rassemble les familles et la grande famille des victimes de l’amiante qui souffrent dans le monde. Elle les éclaire sur leurs conditions sociales et les engage à affronter ensemble les conséquences de leurs malheurs. C’est du moins ce que nos comités ont constaté au cours de leurs engagements auprès des victimes depuis quatorze ans en Suisse.

Les familles et amis des victimes se soutiennent mutuellement dans leurs associations et leurs manifestations publiques et n’ont que faire d’une ingérence extérieure dans leur vie privée. […] Voici ce qu’attendent de nous les victimes de l’amiante.

Besoin de comprendre la cause de leur drame

Ce que veulent ces personnes, c’est avant tout de savoir pourquoi un tel malheur les a frappés, pourquoi un membre de la famille décède subitement dans la force de l’âge et le plus souvent avant même de pouvoir bénéficier de sa retraite. Et puis, ces familles veulent être reconnues socialement en tant que victimes d’une catastrophe sanitaire dont ils ne sont aucunement responsables. Ils réclament que justice leur soit rendue, que leur douleur soit reconnue et partagée, que les responsables de leurs maux – entreprises, Etats, institutions de prévention, assurances, médias – reconnaissent ouvertement qu’ils ont manqué gravement à leurs devoirs de prévention et d’information, et ceci, depuis que les dangers mortels de l’amiante ont été scientifiquement prouvés et dénoncés, soit depuis les années 1950.

Besoin d’être informés sur les risques de l’amiante

Ce que les victimes attendent de nous c’est aussi qu’on les informe sur ce qu’est l’amiante, les conséquences de ce toxique sur la santé, les conditions précises dans lesquelles elles ont été exposées. Cela implique que l’on enquête ensemble sur le parcours de vie du malade, non seulement professionnel, mais aussi paraprofessionnel (dit « environnemental »), soit les bureaux, magasins, écoles, etc. qu’il a fréquentés et qui peuvent être la cause de son intoxication. Il s’agit par conséquent d’établir une anamnèse de la victime, ce que les médecins traitants ne peuvent faire puisqu’ils ne sont pas censés connaître tous les métiers à risque où de l’amiante a été utilisé, tous les bâtiments ayant contenu ou contenant encore de l’amiante et tous les sites où des gisements d’amiante peuvent l’avoir contaminé.

Cela implique l’accès et la consultation de bases de données exhaustives et portant sur une longue durée de tous les lieux à risque que la victime a pu fréquenter. Cette anamnèse doit donc s’étendre sur plus d’une quarantaine d’années, soit le temps de latence maximum s’écoulant entre l’exposition néfaste et le diagnostic clinique. L’enquête permettra de constituer un dossier indispensable aux avocats et aux assureurs pour qu’ils puissent établir de façon probante la relation de cause à effet entre l’exposition à l’amiante et la pathologie qui en a découlé. […]

Besoin d’être assistés juridiquement

Les victimes, mais surtout leurs survivants, sont confrontées à des problèmes financiers dus à la suppression d’un ou de plusieurs salaires puisque la longue assistance aux malades implique souvent que le proche qui le soigne doive réduire ou renoncer à son emploi. Il en va aussi des frais de transport du domicile à l’hôpital, des dépenses de santé non couvertes par l’assurance, des frais administratifs, juridiques, de funérailles, etc.

C’est pourquoi le but de nos comités d’aide aux victimes est de les aider à obtenir, ne serait-ce qu’une compensation financière, dans le meilleur des cas une indemnisation correspondant à leur statut d’assurés et, si possible, un dédommagement par les responsables du dommage causé. Ceci implique que, quelles que soient les causes du décès à la suite d’une maladie de l’amiante, les hypothèses sur les conditions de sa contamination, les moyens financiers dont disposent les ayants droit, ceux-ci puissent recourir en tout temps à un service juridique. C’est la tâche dévolue aux trois avocats attachés à CAOVA. Or, la Table ronde tend actuellement à supprimer tout droit au recours, ce qui est inadmissible, compte tenu des faits nouveaux pouvant se révéler après l’octroi d’une indemnisation. […]

Article tiré du Bulletin nº 6 du Comité d’aide et d’orientation des victimes de l’amiante (CAOVA), octobre 2016. Asbestopfer est son pendant alémanique. Coupures et adaptation de la rédaction.