Colombie

Colombie : Le refus des accords de paix

Les résultats du référendum sur les accords de paix – conclus le 26 septembre entre le gouvernement colombien du président Juan Manuel Santos et les Forces armées révolutionnaires de Colombie-Armée du peuple (FARC-EP) – viennent de tomber au moment de mettre notre journal sous presse: après dépouillement de 99,98% des bulletins de vote, le non l’emporte de justesse.


Dans les zones touchées par le conflit, le oui a triomphé (par exemple à 80 % au Chocó). Patricia Banos Carril

La participation au scrutin  s’élève à 37,28% des électeurs·trices, avec 6 377 482 voix pour le oui (49,78%), 6 431 376 pour le non (50,21%). En guise d’analyse à chaud, dans un article intitulé «El plebiscito colombiano, une oportunidad perdida», le sociologue Atilio Boron constate la différence entre le vote urbain et celui des zones touchées par le conflit armé: «Là où les horreurs de la guerre sont expérimentées – principalement les régions agraires et paysannes – le oui a triomphé de manière écrasante. Le Cauca a voté en sa faveur à 68%, le Chocó à 80%, Putumayo à 66%, Vaupes à 78%. Par contre, dans les villes où la guerre n’est qu’une nouvelle diffusée par les médias – qui diabolisent implacablement les insurgé·e·s – les participant·e·s au vote [ndr: ou du moins une majorité d’entre eux·elles] ont rejeté les accords de paix» (rebelion.org).

Pourquoi ce résultat, alors que les médias avaient largement rendu compte des négociations de manière positive et prédisaient la fin du conflit? Il s’avère que la classe dirigeante colombienne est plus divisée que ne le laissait prévoir une certaine couverture médiatique. Le parti (bien mal nommé) « Centre démocratique » de l’ex-président Álvaro Uribe Vélez (lié au para-­militarisme d’extrême-droite) a mené une campagne intense contre les accords de paix. S’y ajoute le poids de la propagande hérité des deux mandats de Uribe, pour qui seule existait la solution militaire face au conflit armé qui secoue la Colombie depuis 60 ans. Cette propagande a laissé des traces dans la population. Enfin, on peut douter du fait que, dans les zones sous contrôle paramilitaire (dont les médias parlent peu, mais dont l’existence est avérée), le vote se soit déroulé en toute liberté.

Les assassinats continuent

La déclaration votée par la 3e assemblée européenne du Congrès des Peuples (Colombie), tenue dans le village basque de Otxandio (Etat espagnol) le 18 septembre 2016, faisait état des préoccupations des exilé·e·s colombien·ne·s en Europe: «Nous constatons que, depuis les premiers jours ayant suivi la signature des accords entre le gouvernement et les FARC, les assassinats de dirigeants sociaux et d’activistes politiques de l’opposition ont augmenté sans que le gouvernement prenne des mesures réelles. Notre préoccupation est que les discours sur la fin de la guerre finissent par renforcer le terrorisme d’Etat, dans la mesure où ces assassinats continuent en toute impunité et que la responsabilité de l’Etat (par action ou omission) ne soit ni constatée, ni punie».

Depuis 1982, il y a eu trois tentatives de mettre fin au conflit (les accords de paix du 26 septembre représentant la 4e tentative). Les négociations entre le gouvernement de Bélisario Betancourt et les FARC-EP avaient permis la naissance d’un parti légal, Unión Patriótica, en 1985, afin de permettre la réintégration des insurgé·e·s à la vie politique. En quelques années, 5 000 militant·e·s de Unión Patriótica furent assassinés par les paramilitaires. Là réside l’origine des 30 années de guerre supplémentaires qu’a vécu la Colombie et dont le bilan est lourd: 267 162 mort·e·s, 8 millions de victimes, auxquelles il faut ajouter 57 265 disparu·e·s et selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (ACNUR) 6,9 millions de déplacé·e·s internes (d’après Luis Alberto Mata, écrivain colombien réfugié au Canada, «La paz en Colombia», rebelion.org).

Les causes historiques d’une violence

Contre les journalistes ignorants, oublieux des causes profondes de la violence en Colombie, Luis Alberto Mata rappelle les origines de la guérilla: «La pauvreté et l’injustice sont au cœur du soulèvement armé paysan de 1964. Mais le détonateur de la naissance des FARC fut l’intolérance politique: un féroce bombardement ordonné par le président Guillermo Valencia contre 48 familles paysannes qui avaient décidé pacifiquement de prendre des terres et de cultiver des aliments dans un lieu très éloigné de colonisation agraire. A l’époque, l’initiative paysanne fut dénoncée par des propriétaires fonciers comme ‹ un défi à l’Etat de droit et une forme illégale de réforme agraire ›. Ces mots ont justifié l’agression militaire qui lança ces familles dans la résistance armée et qui ultérieurement, à partir de la Conférence des paysans du Sud, décidèrent de former une guérilla» (rebelion.org).

Après ce vote négatif, comment éviter le retour à la guerre? Bien qu’elle soit rendue plus difficile, une solution politique reste nécessaire, comme le souligne ANNCOL (Agencia de noticias Nueva Colombia): «Vu la fracture de la société colombienne, mise en évidence par le vote, il faut maintenir la vieille consigne des deux organisations insurgées: convoquer d’urgence une Assemblée nationale constituante large et démocratique, incluant l’Armée de libération nationale (ELN) et l’Armée de libération populaire (EPL), pour sceller définitivement le processus de paix en Colombie. […] Ce n’est pas le moment de renoncer et de laisser arriver à la présidence Vargas Lleras, rusé adversaire militariste des accords de paix. C’est le moment d’approfondir le processus que cette votation a mis à l’ordre du jour en Colombie» (anncol.eu).

Hans-Peter Renk