Assurance-maladie

Assurance-maladie : Une hausse des primes à perpète?

Plus ça va, moins ça va.  Chaque début d’automne amène une annonce de hausse des primes de l’assurance-maladie, sauf lorsqu’une votation populaire se profile sur ce thème. Notre merveilleux système d’assurance connaît ainsi, depuis son introduction en 1996, une multiplication par 2,5 des primes. Lors de l’entrée en vigueur de la Loi sur l’assurance-maladie (LAMal), la prime moyenne était de 173 francs, elle est aujourd’hui de 447 francs. Cette année, ce sont les primes pour enfants qui vont connaître la plus forte hausse (6,6%). Explication du Conseiller fédéral Berset: il y a un besoin de rattrapage, car les primes ne couvraient plus les coûts dans ce segment.

Considérant sans doute que l’assurance-maladie relevait de la course d’obstacles, le journal Le Temps a confié à sa spécialiste du sport équestre (!) le soin d’illustrer le propos de notre si compétent ministre. Julie Conti a donc comparé coûts de la santé pour les enfants et primes perçues, de 1996 à 2014. Résultat: jusqu’en 2008, les primes ont été constamment supérieures aux coûts ; de 2008 à 2010, elles sont inférieures, mais plus en 2012 et c’est à partir de 2014 seulement qu’elles se font dépasser par les coûts (Le Temps, 26.9.2015). Le besoin de rattrapage est tout relatif. Pas pour Alain Berset, qui indiquera servilement que le Conseil fédéral ne fera pas usage de son droit à fixer les réductions de primes pour les enfants: « Nous tenons avant tout à mener la discussion avec les assureurs.» (24 Heures, 26.9.2016).

Les assureurs avant tout, tel est bien le mot d’ordre de la politique fédérale en matière d’assurance-maladie qui transparaît jusque dans la reprise de leurs « éléments de langage », en particulier de la célèbre « explosion des coûts de la santé ». De 1995 à 2014, les dépenses de consommation finale des ménages pour la santé ont augmenté en moyenne de 183% ; celles pour la communication de 189% ; celles pour le logement de 150%. Parle-t-on pour autant d’explosion des coûts de la communication ou du logement? Bien sûr que non. Il y aurait donc des augmentations de dépenses légitimes, comme la communication et le loyer, et d’autres qui le seraient beaucoup moins, comme la santé. Ce qui permet en retour de fustiger ces « crétins » de consommateurs et de consommatrices de santé qui ne cessent de se gaver de médicaments inutiles, de courir faire une IRM ou un scanner au moindre ongle incarné et de consulter des neurologues après le premier jour de mal de tête.

Car là se situe bien le nœud de la contradiction en matière de politique de la santé: à un besoin que la population estime légitime devrait répondre un système de financement individualisé et soumis à la libre et joyeuse concurrence des assureurs. Reprocher à des assureurs privés de chercher à faire du profit, c’est reprocher leurs épines aux roses. Les capitaux qui s’investissent dans ce secteur cherchent, comme tout capital qui se respecte, à se reproduire et à s’accumuler. Tant que l’on cherchera à hybrider la carpe et le lapin, les besoins sociaux et le marché de l’assurance individuelle, on reproduira l’impasse dans laquelle se trouve l’assurance-maladie actuellement. Dans son principe même, le financement par le biais de primes par tête est non seulement inéquitable, il est aussi inefficace.

Le site A L’encontre a récemment publié les résultats d’une simulation, établissant quels auraient été les coûts pour la population si l’assurance-maladie reposait sur un financement du type AVS (prélèvement en pourcentage du salaire). Les résultats parlent d’eux-mêmes: de 1996 à 2014, au lieu de plus du doublement des primes actuelles, nous aurions connu une augmentation des cotisations salariales de 40% seulement, avec un taux de cotisations pour l’assurance-maladie qui resterait inférieur à celui de l’AVS.

Devant cette réalité, les médications du « docteur Berset » resteront au mieux des emplâtres sur une jambe de bois, au pire un transfert accru des coûts sur les assuré·e·s. Car déjà maintenant, sur quatre francs dépensés dans la santé, un est directement pris en charge par les patient·e·s. Peu à peu, la charge de l’assurance-maladie devient trop lourde pour de nombreuses personnes en Suisse. Dans une enquête sur la répartition des revenus en Suisse, à paraître prochainement en français, l’USS note que malgré la réduction des primes accordées par les cantons, « par rapport à l’an 2000, la charge a fortement augmenté pour toutes les catégories de revenu, mais surtout pour les bas revenus. Pour les familles monoparentales avec un enfant, la charge était encore tout juste de 2% du salaire brut, aujourd’hui elle se monte déjà à 8%. De même pour les couples avec deux enfants dont la charge est, pour un revenu de 55 000 francs, passée de tout juste 2% en 2000 à plus de 10% en 2014.» La confédération syndicale ajoute que le « but social » de l’assurance formulé en 1991 par le Conseil fédéral, selon lequel les primes ne devaient pas dépasser 8% du revenu imposable (soit entre 4 et 6 % du revenu brut) n’a jamais été atteint.

Raison de plus de reprendre l’ouvrage radicalement, c’est à dire à la racine du problème: le fonctionnement financier de l’assurance-maladie.

Daniel Süri