Libre circulation des personnes

Libre circulation des personnes : Combattre les abus patronaux sans céder aux sirènes chauvines

Le projet de mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse» semble pratiquement renoncer aux contingents. Le compromis forgé entre le PLR et le PSS ne prévoit toutefois aucune amélioration concrète pour les travailleurs.euses et se fonde au contraire sur le principe de «préférence nationale» que la gauche et les syndicats ne sauraient faire leur.


Une image de la campagne «Prima I Nostri!» de l’UDC tessinoise, sous-titrée «Tessinois, voulez-vous faire garder le poulailler par les loups?»

Le projet de mise en œuvre de l’initiative «Contre l’immigration de masse», présenté par la commission des institutions politiques du Conseil national (CIP), a largement été acclamé comme la quadrature du cercle permettant à la fois de respecter la volonté populaire de «réduire l’immigration» et de préserver l’accord de libre circulation des personnes avec l’UE.

En quoi consiste le paquet négocié entre le PLR et le PSS? Il prévoit l’introduction du principe de «préférence nationale» sous la forme d’une obligation d’annonce aux Offices régionaux de placement (ORP) des postes vacants. Et si, malgré cette mesure, l’immigration devait augmenter de manière importante, le Conseil fédéral soumettrait alors au Comité mixte Suisse-UE la demande de limiter temporairement, par branche ou par région, le flux de main d’œuvre.

Dans la négociation, le PLR a renoncé à l’introduction de contingents ou de nouveaux permis de courte durée. Le PSS, quant à lui, a retiré toute revendication pour améliorer les mesures d’accompagnement existantes. Il est toutefois loin d’être acquis que ce «bon compromis» (selon la socialiste Cesla Amarelle) passe la rampe des débats parlementaires, tant il apparaît à contrecourant du battage médiatique estival orchestré par l’alliance UDC-Union patronale suisse sur la nécessité d’introduire des contingents et d’affaiblir les mesures d’accompagnement existantes. Il n’est donc pas impossible que la droite veuille davantage réduire l’immigration lors des débats aux Chambres.

Une «clause magique» qui ne va pas dans la bonne direction

Face à cette pression, on peut comprendre que la gauche parlementaire voie la «clause magique» (selon le Vert Balthasar Glättli) comme une victoire contre l’extrême droite et que l’USS la déclare être «un pas dans la bonne direction». Certes, tout contingentement signifierait un immense recul en termes de droits pour les salarié·e·s et les immigré·e·s. Nous savons que l’octroi de permis de courte durée précarise les conditions de travail de tous les salarié·e·s et pousse dans la clandestinité des travailleurs·euses immigrés après épuisement des contingents.

Force est toutefois de constater que la proposition qui sort de la CIP ne prévoit aucune amélioration pour protéger les salarié·e·s. Pire, elle déplace le débat social des abus patronaux vers le terrain chauvin de la «préférence nationale», une mesure par ailleurs parfaitement inadéquate pour combattre le chômage. Celui-ci est en effet principalement le résultat d’un développement économique déséquilibré, renforcé en 2015 par la décision de la BNS de supprimer le taux plancher, avec la destruction de plusieurs dizaines de milliers d’emplois industriels. Et les pratiques abusives des entreprises qui, aujourd’hui, licencient et remplacent le personnel pour baisser les salaires ne sauront être empêchées par la seule obligation d’annonce aux ORP!

La «préférence nationale» ne peut être la nouvelle mesure d’accompagnement à la libre circulation des personnes, car son seul et unique objectif est de stigmatiser les salarié·e·s immigrés comme responsables des tensions sur le marché du travail. Or, l’acceptation de l’initiative «Contre l’immigration de masse» en 2014 s’explique moins par une volonté de «limiter l’immigration» que par la pression sur les salaires et sur l’emploi subie par une majorité de la population active et les lacunes en matière de contrôle.

Les seules mesures d’accompagnement dignes de ce nom sont donc celles qui permettent de renforcer les protections des salarié·e·s et de combattre les abus patronaux.

Le statut quo n’est pas une alternative

Dans ce contexte, on peut certes saluer la toute récente décision du Conseil aux Etats d’augmenter les amendes en cas d’abus salarial de 5000 à 30 000 francs et de faciliter la prolongation des contrats-type de travail (salaires minimums de branche). Mais ces mesures ne sont de loin pas suffisantes, et il n’est pas inutile, dans ce cadre, d’anticiper les débats autour de l’initiative «RASA» qui risquent d’enterrer durablement toute tentative d’améliorer la protection des salarié·e·s.

En effet, cette initiative, lancée après le vote du 9 février 2014 par des milieux patronaux suisses allemands, en prévoyant simplement l’annulation dudit vote sans aucune mesure de protection supplémentaire, est à la fois inefficace et dangereuse. Inefficace, car en n’intégrant aucune des demandes légitimes de renforcer la lutte contre les abus patronaux, elle ne pourra que déboucher sur un deuxième vote populaire négatif au sujet de la libre circulation des personnes. Et dangereuse, car elle risque de faire perdre au mouvement syndical et à la gauche sa crédibilité envers sa base: Celle-ci verrait la revendication d’accompagner l’ouverture du marché du travail par une meilleure protection des conditions de travail définitivement abandonnée, en faveur d’une nouvelle «union sacrée» avec le patronat en défense des accords bilatéraux avec l’UE.

Tant la mise en œuvre de l’initiative syndicale «Pour le renforcement des contrôles des entreprises» par l’instauration à Genève d’une inspection paritaire des entreprises, que l’initiative «Stop au dumping salarial» comme réponse concrète à l’initiative cantonale de l’UDC «Prima i nostri!» («Les nôtres d’abord!») au Tessin, montrent qu’il est possible de combattre les abus patronaux en augmentant les droits des salarié·e·s sans pour autant céder aux sirènes xénophobes. Pour cela, il est urgent que le mouvement syndical se décide enfin à mener campagne, y compris par voie d’initiative, pour améliorer les mesures d’accompagnement.

Alessandro Pelizzari
Syndicaliste Unia