Bandes dessinées en lutte

Alors que le 9e art est encore considéré par certains comme un art mineur, voire enfantin, nous lançons cette nouvelle rubrique afin de montrer si besoin était que la bande dessinée est devenu un art complet, parfois au service des luttes sociales, de la mémoire collective et de l’émancipation des opprimé·e·s. Premier tour d’horizon des artistes qui ont su lier l’écriture à l’image pour nous transmettre des expériences sociales et politiques hors-normes.

Locatteli Kournwsky et Le Roy
Ni Dieu, ni maître :
Auguste Blanqui l’Enfermé
Casterman, 2014

 

 

« S’il fallait résumer la politique de Blanqui, on pourrait dire qu’il s’agit, avant tout, de la façon la plus conséquente, d’un volontarisme révolutionnaire, source à la fois de sa force et de sa faiblesse, de sa grandeur et de ses limites» écrivaient Daniel Bensaïd et Michael Löwy à propos de celui qu’on appelle « l’Enfermé ». Militant socialiste révolutionnaire et insurrectionniste convaincu, Auguste Blanqui a lutté sa vie entière contre la monarchie, la bourgeoisie et toutes les formes de pouvoir réactionnaire. Ses multiples tentatives de putschs et ses prises de position politiques lui ont valu plus de 30 ans de prison et un surnom : l’Enfermé.

Dans cet ouvrage, les auteurs nous font découvrir les moments charnières de la vie de Blanqui depuis ses 17 ans, âge auquel il apprit selon ses dires «àhaïr cette société» jusqu’au crépuscule de son existence. Parlant à un journaliste depuis sa prison, Blanqui tire le bilan de sa trépignante et triste vie : de la souffrance du combat à sa nécessité en passant par l’espoir d’un changement. Bel hommage à cette figure trop souvent oubliée de la lutte socialiste.

 

 

Luca de Santis et Sara Colaone
En Italie, il n’y a que des vrais hommes
Dargaud, 2010

 

«En Italie, il n’y a que des vrais hommes» déclarait Mussolini pour s’opposer à l’intégration, dans les lois raciales de l’Italie fasciste, d’une clause spécifique pour les homosexuel·le·s. Les inscrire dans la loi équivalait, selon lui, à admettre leur existence. Ainsi, plus que la répression, la violence ou la condamnation, les fascistes ont usé du silence, de la négation et de l’oubli pour bannir les homosexuels et confirmer l’idée d’une société virile.

Ce magnifique roman graphique de Santis et Colaone nous offre, dans ce récit aux couleurs brunes et noires, l’occasion de revenir sur le confinement des homosexuel·le·s durant la période fasciste. A travers le témoignage d’une ancienne victime qui livre son histoire à deux jeunes documentaristes, les auteurs nous embarquent avec les homosexuel·le·s confinés dans les centres spéciaux ou dans les îles du Sud. En exposant un pan d’histoire peu connu, ce roman graphique lutte contre l’oubli et contre l’invisibilisation des homosexuel·le·s, principales armes que le gouvernement fasciste a mis en œuvre contre elles et eux.

 

 

Howard Zinn, Mike Konopacki, Paul Buhle
Une histoire populaire de l’Empire Américain
Vertige Graphic, 2009

 

Et si on renversait le regard ? Et si on s’intéressait à l’histoire des vaincu·e·s, des faibles, des opprimé·e·s ? En d’autres mots, et si on lisait l’histoire du point de vue de ceux qui ne l’ont pas écrite ? C’est le pari, ô combien réussi, du livre de Howard Zinn, Une histoire populaire des Etats-Unis qui a modifié à jamais la perception de l’histoire de la nation de l’Oncle Tom.

On aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans compter sur Mike Konopacki et Paul Buhle qui ont souhaité pousser plus loin la popularisation de cet ouvrage en l’adaptant en bande dessinée. Une BD très bien faite, pédagogique, ludique et qui permet en peu de temps de découvrir les aspects cachés de l’histoire étatsunienne. Si bien sûr, l’ouvrage ne traite qu’une partie du livre de Zinn, la vulgarisation est excellente et permet d’ouvrir la porte à la compréhension des luttes des opprimé·e·s au plus grand nombre de lecteurs·trices. A offrir !

 

 

Laurent Galandon, Damien Vidal
LIP : des héros ordinaires
Dargaud, 2014

 

En avril 1973 à Besançon, les actionnaires de LIP, société rachetée par un groupe suisse, annoncent des licenciements massifs et un plan de démantèlement de cette entreprise horlogère. La réaction des travailleuses et de travailleurs va transformer cette crise en un des moments majeurs de la lutte ouvrière en France.

En refusant de s’aplatir devant les actionnaires, en collectivisant et en autogérant l’usine, les employé·e·s des LIP vont incarner le combat de millions d’ouvrier·ère·s en France contre le capitalisme financier naissant. Cette expérience de lutte, où la solidarité et l’imagination accompagnent le doute et la peur, nous est proposée à travers l’histoire d’une femme, d’une mère, d’une travailleuse, Solange. Les auteurs nous narrent un destin personnel, une émancipation individuelle rendue possible par les énergies de la lutte collective. Merci aux auteurs de revenir sur ce moment d’histoire qui doit continuer de nourrir la conscience collective des travailleurs·euses de ce monde.

 

 

Carlos Gimenez
Paracuellos
Fluide Glacial, 2009

 

Cette compilation réunissant l’ensemble des planches de Gimenez sorties dans Fluide Glacial sous le nom de Paracuellos, nous offre l’occasion de se pencher sur la réalité des enfants à l’assistance sociale sous le régime de Franco des années 50. Se basant sur sa propre expérience de vie, à savoir huit années dans les foyers de l’assistance, Gimenez nous relate les petites anecdotes et les mésaventures des enfants en y mêlant humour et critique sociale.

De la faim aux vols de bonbons, de la solitude à la franche camaraderie, de l’autoritarisme du personnel à la recherche de la liberté, chaque petite histoire nous arrache un rire, une larme et parfois les deux. En bref, se sont de belles émotions qui rendent hommage aux enfants pauvres dans un régime fasciste.

Pablo Cruchon