Débats

Débats : Antispécisme et convergence des luttes

Le débat sur la cause animale prend davantage d’ampleur, en particulier au sein de la jeunesse. Les nombreuses révélations récentes sur les traitements atroces réservés aux animaux dans plusieurs abattoirs français (y compris « bio »), et la nécessité de l’élargissement de la lutte contre les oppressions à celles concernant aussi les animaux non-humains participent de cette prise de conscience. Les impacts écologiques et sanitaires de la surconsommation de viande dans les pays dits « développés » contribuent également à faire émerger ces questions souvent négligées. Cet article sur l’antispécisme – qui en appelle d’autres – se propose d’inaugurer ce débat dans nos colonnes. [Réd]

«Je soutiens qu’il ne peut y avoir aucune raison – hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur – de refuser d’étendre le principe fondamental d’égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces.»

Peter Singer
La libération animale


L214

Le spécisme est à l’espèce  ce que le racisme et le sexisme sont respectivement à la « race » et au sexe, c’est-à-dire une volonté oppressive, discriminatoire et arbitraire de ne pas prendre en compte les intérêts de certain·e·s au bénéfice d’autres sur la base de différences réelles ou imaginaires. C’est une idéologie qui non seulement justifie, mais également impose à notre civilisation l’exploitation animale par les humains sous toutes ses formes (alimentation, divertissement, chasse, élevage, expérimentation, etc.) et qui considère que la vie et les intérêts des animaux peuvent être méprisés sous l’unique prétexte qu’ils sont d’une autre espèce que la nôtre.

Mettre fin à la souffrance des animaux

Par réaction à cette idéologie, l’antispécisme est un mouvement né dans les années 1970 et qui affirme que l’espèce à laquelle appartient un être vivant n’est pas un critère pertinent pour décider de la manière dont on doit le traiter et des droits qu’on doit lui accorder, et qu’un mouvement international de libération animale est nécessaire pour mettre un terme à l’exploitation et à la souffrance des animaux. L’égalité que prône le mouvement antispéciste prend en compte les intérêts des individus de manière égale et non discriminatoire, indépendamment de leur appartenance à une espèce.

Cependant, le critère de l’espèce peut parfois intervenir, dans la mesure où il constitue une caractéristique pertinente pour la détermination des intérêts. Par exemple, selon le philosophe utilitariste Peter Singer, il est moins grave de donner une claque (de même intensité) à un cheval qu’à un bébé humain, car la peau du cheval est plus épaisse que celle du bébé et sa souffrance sera donc moindre. De la même manière, tout comme il serait absurde d’accorder le droit de vote à un bébé, il serait absurde d’accorder le droit à une poule d’aller à l’université. Les différences de traitement ou de droits ne sont cependant justifiables qu’en fonction de caractéristiques individuelles et non collectives.

Manger de la vache mais pas du chat?

La discrimination fondée sur l’espèce influence également la vision non-objective que nous avons des animaux entre eux (animaux de compagnie vs animaux d’élevage). Par exemple, nous entendrons les gens s’offusquer des peuples qui mangent du chien ou du chat mais trouver tout à fait normal de se nourrir de viande de vache ou de poulet.

De la même manière qu’ils accordent à leurs animaux de compagnie des capacités anthropo­morphistes, ces partisan·ne·s du spécisme avancent que les humains seraient seuls à détenir certaines capacités mentales qui justifieraient leur domination sur les espèces animales. Or, comme le démontrent certaines recherches en éthologie, aucun critère n’inclut tous les humains et n’exclut tous les animaux. Ces derniers possèdent à des degrés divers, tout comme les humains, une intelligence, une pensée abstraite, une vie sociale et une conscience de soi. Il est également aujourd’hui de plus en plus reconnu que les animaux font preuve d’empathie et ont la capacité de ressentir la peur et la souffrance. A la lumière de ces faits, il devient évident que le spécisme est une idéologie qui doit être mise à bas et que les animaux ne peuvent plus être exclus de notre champ de considération morale.

Un problème politique structurel d’exploitation

De la même manière que des oppressions, dominations et discriminations d’un groupe social humain sur un autre ont été, si ce n’est complètement abolies dans les faits, mais du moins fortement réduites, l’exploitation animale doit être considérée aujourd’hui comme un problème structurel qui concerne la société toute entière et contre lequel il faut lutter par des campagnes politiques et non seulement en se cantonnant à sensibiliser les individus sur leurs habitudes de consommation.

Faire converger les luttes

Au même titre que le racisme, le sexisme, la LGBT*IQphobie, le spécisme repose sur les mêmes fondements discriminatoires, violents et dominants d’un groupe social à l’égard d’un autre groupe, jugé plus faible ou simplement différent, et ce sans aucune considération logique de justice, d’égalité ou de respect. Il est donc totalement cohérent et même nécessaire d’inclure le mouvement antispéciste et de promouvoir sa lutte sur le plan politique au même titre que les combats contre toutes les discriminations. Il nous appartient à nous, camarades militants, de comprendre les liens discriminatoires qui justifient toutes les oppressions et de travailler ensemble afin que nos luttes sociales et libertaires gagnent en force.

Sarah Irminger