Swissair, un chasseur peut en cacher un autre


Swissair: un chasseur peut en cacher un autre


La démission en chaîne des dirigeants de SAirGroup, l’abdication du Conseil d’administration, les énormes pertes pour l’exercice 2000 (plus de 700 millions), le trou béant dans les comptes dû à des investissements risqués qu’il faudra boucher par un apport de plus de 3 milliards, ont mis l’entreprise sur les genoux. Un nouveau directeur – Mario Corti – ayant été nommé, il ne faut pas croire que «l’ordre» qu’il promet de remettre dans la maison se fera sans tentatives de licenciements et de ventes de filiales.

Rémy Pagani

L’avenir est incertain pour l’ensemble des 68 000 personnes employées par ce groupe exploitant des centaines de lignes aériennes autour de la planète. Pourtant, il serait trop facile de s’arrêter à la dénonciation des effets de cette débâcle, encore faut-il voir ce qui sous-tend ce processus!


Les gros mangent les petits


Dans le transport aérien, depuis des années, la concurrence et la «libéralisation» produisent des effets dramatiques pour le personnel. Cette concurrence effrénée ne privilégie évidemment pas des compagnies qui défendraient la protection de l’environnement, la lutte contre l’effet de serre, la complémentarité (voire la subsidiarité!) avec d’autres modes de transport tels que le train, les services de qualité à la clientèle ou encore la défense des conditions de travail et de rémunération du personnel… Elle ne consacre qu’une seule loi: celle du plus fort! Ainsi, toutes les entreprises aériennes doivent-elle croître pour éliminer leurs concurrentes, sous peine de disparaître. Cette logique nous la connaissons et dénonçons à longueur d’année. En particulier, ce sont les décisions économiques, décrites ci-après, qui ont été le fait du Conseil d’administration de Swissair dans sa stratégie dite du «chasseur».
Liste de pratiques illégales longue comme le bras



  • SAirGroup, logé dans une holding néerlandaise par l’intermédiaire de Marine-Wendel a illégalement acquis plus de 50% d’AOM-Air Liberté avec le concours d’Ernest Antoine Seillière, patron des patrons français, en vue de contourner la législation européenne. Pour ce faire le groupe a mis en place une opération financière permettant à Marine Wendell et à Alpha de rentrer dans leurs fonds en 2004. Il est question de 237 millions de Francs suisses;
  • SAirGroup a fermé les yeux sur le détournement de clientèle des voyagistes français GO et DRAM au profit de Euralair en France, ce délit est qualifié, dans ce pays d’abus de biens sociaux ;
  • Celui qui, par des participations, dispose du «pouvoir de gouverner» et qui peut exercer ce pouvoir légalement a le devoir de consolider ses participations dans son bilan. Or, les participations de SAirGroup en France, en Belgique et en Italie ne sont qu’en partie consolidées dans le bilan de la holding SAirGroup en Suisse;
  • 34 airbus ont été imposés à Sabena alors que seuls 17 étaient nécessaires;
  • les comptes du groupe montrent des indices de surfacturations: quasi-doublement des «services et biens divers» fournis par des tiers depuis l’arrivée de SAir dans Sabena, alors que le chiffre d’affaires n’a augmenté que de 28%, que la masse salariale est restée stable et que les effectifs ont décru;
  • les honoraires payés au consultant McKinsey pour des «conseils stratégiques» durant dix ans représentent une somme oscillant entre 100 millions et un milliard de Francs suisse.

La stratégie du chasseur


Bénédict Hentsch, fer de lance néolibéral de la campagne monocolore «Genève gagne», explique à qui veut l’entendre les méandres de cette stratégie dite «du chasseur» et sa déception de ne pas l’avoir vu aboutir. Pour parvenir à leurs fins, les dirigeants de Swissair n’ont pas hésité un instant à violer de nombreuses lois: abus de biens socials en France, opacité des comptes en vue de ne pas les consolider au bilan de la holding en Suisse, rien n’a été oublié pour mettre en oeuvre une stratégie digne de gangsters. On voit que le capiutalisme néolibéral produit le pire. Il doit s’affranchir de toutes contraintes pour assouvir un seul but: le profit. Dès lors, qu’est-ce qui n’a plus fonctionné? Pourquoi le groupe, qui pouvait compter sur un afflux massif d’argent, année après année, s’est-il vu couper les vivres par ceux-là même qui l’encourageaient?


Derrière la meute:
les banquiers


C’est l’été dernier que les directions du Crédit Suisse et de l’UBS ont tapé du poing sur la table. Mettant un terme à cette stratégie du chasseur, ils exigeront en février 2001 la tête des perdants. En effet, il serait naïf de croire que la démission en bloc du Conseil d’administration n’est que la résultante d’un constat d’échec des artisans de cette débâcle, entre gens de bonne compagnie, dans le but de «laisser la place à une nouvelle équipe», comme le prétendait son président Lukas Mühlemann, patron du Crédit Suisse. Elle n’est que la poursuite des mêmes choix économiques capitalistes. Pour que ces choix économiques soient pérennisés, il faut débarquer l’ancienne équipe et si possible lui faire payer la note en la désignant à la vindicte populaire comme bouc émissaire.


Et puis viendra une nouvelle stratégie… Les jours qui viennent seront sans doutes riches en indices précurseurs de ce que nous pourrons appeler «Le chasseur II, le retour». Les véritables dirigeants, ceux qui tirent les ficelles depuis toujours dans les coulisses, devront-ils monter au front ou pourront-ils encore se cacher derrière des hommes de paille? Mario Corti le nouveau directeur et président délégué de SAirGroup semble bien avoir accepté d’endosser le costume d’homme providentiel qui lui a été taillé sur mesure!


Comme on peut le voir, le combat qui s’annonce ici entre capital et travail sera long et difficile, de nombreuses actions devront être engagées par les 68 000 employé-e-s du groupe. Le personnel doit se mobiliser maintenant en prévoyant des mesures de lutte avant que des décisions ne soient prises sur son dos. Les banques étroitement liées à leurs représentants au Conseil d’administration, comme on a pu le voir, devront-elles passer à la caisse pour éponger les pertes ruineuses du groupe?
Rien n’est moins sûr!



Le Grand Conseil genevois solidaire du personnel


Lors de la dernière séance du parlement genevois – sur proposition de l’ADG – celui-ci à inscrit en urgence à son ordre du jour, et voté à nette majorité, une motion invitant le Conseil d’Etat à refuser la décharge aux administrateurs de SAirGroup, ainsi qu’à engager toutes actions civiles et pénales contre les membres du Conseil d’administration et les dirigeants sortants de celui-ci, en vue de leur faire assumer les responsabilités auxquelles ils tentent aujourd’hui de se soustraire.


En outre, cette motion prévoit de faire publier, avant l’assemblée des actionnaires, une résolution du Grand Conseil qui exprime «sa solidarité avec l’ensemble du personnel du SAirGroup qui a subi et risque encore de subir le contrecoup des théories néolibérales mises en œuvre par son conseil d’administration».


(pv)