La privatisation des soins aux personnes âgées selon Avenir Suisse

Le think tank libéral vient de publier une étude intitulée De nouvelles mesures pour les soins aux personnes âgées. Le rapport se veut être une véritable «  boussole libérale » pour plus de concurrence et moins d’Etat.

Il est vrai  que les prévisions de la Confédération sont frappantes. Le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans devrait doubler d’ici 2040. La croissance du secteur des soins à domicile ou en EMS, qui emploie actuellement quelque 108 000 équivalents plein-temps, va continuer d’engendrer des besoins importants en termes d’infrastructures, de personnel et donc de financement. En 2014, les coûts globaux des soins en EMS ont été de 9,49 milliards de francs, auxquels il faut ajouter 1,52 milliard pour les soins à domicile, montant qui est destiné à augmenter significativement.

Des économies pas toujours efficientes

L’étude d’AS aborde la thématique sur trois niveaux: l’organisation, les coûts et les financements. Les cantons sont ainsi classés par « efficience » selon ces trois variables, elles-mêmes composées par différents critères. Ainsi, le volet « coûts » insiste beaucoup sur le fait que les trois-quarts de ceux-ci sont des coûts salariaux, très variables selon les cantons. On notera qu’un canton ne disposant pas de convention collective de travail (CCT) est mieux noté… A partir d’une simple comparaison salariale inter-­cantonale, le rapport évalue les possibilités d’économies dans le secteur entre 1,9 et 4,8 milliards de francs, alors même qu’il reconnaît que ces différences sont le fruit de rapports sociaux plus ou moins favorables aux salarié·e·s.

Au-delà des constats, on s’intéressa surtout aux propositions avancées par AS, véritable cocktail de réformes à la sauce néolibérale: flexibilisation du marché, déréglementations, octroi des mandats basés uniquement sur l’efficience des prestations, suppression des conditions telles que l’aspect non lucratif de l’établissement ou encore l’existence d’une CCT, centralisation afin de réaliser des économies d’échelles… Mais le rapport est aussi truffé de contradictions. Par exemple, il pointe du doigt les cantons de Genève et Neuchâtel pour leurs lois régissant le marché des soins à domicile, ainsi que leurs CCT, comme étant des entraves au libre marché et à une gestion efficiente. Pourtant, ces deux cantons sont parmi les mieux classés en termes d’efficience des prestations!

Vers un « quatrième pilier » pour financer nos EMS?

Sans surprise, les principales réformes proposées touchent au mode de financement. Actuellement, la prise en charge des personnes âgées est payée en moyenne à 51% par les caisses maladies et à 16% par les patients. La part résiduelle est financée par les cantons, à laquelle il faut ajouter les prestations complémentaires versées aux personnes qui n’ont pas les moyens de payer leur contribution. En clair, le think tank entend réduire drastiquement l’implication de l’Etat et laisser une plus grande marge de manœuvre au secteur privé.

L’étude finit par réitérer une proposition, qui n’est pas nouvelle au sein des milieux libéraux: la création d’une assurance privée « capital-­soins » individuelle et obligatoire dès 55 ans. La prime, évaluée entre 235 et 255 francs par mois, servirait à assurer le financement d’un séjour en EMS. L’investissement public dans les soins aux personnes âgées, aujourd’hui payés par des impôts déjà insuffisamment progressifs, serait ainsi remplacé par un financement individuel. Celui-ci ne tiendrait pas compte des revenus et fortunes des personnes, dans un système par capitalisation particulièrement injuste et peu solidaire, exposé aux aléas des marchés financiers. A l’image de l’énorme baisse de recettes qu’engendrerait la RIE 3, AS nous propose là un démantèlement supplémentaire de l’Etat social qui ne ferait qu’accroître les inégalités et la précarité pour les plus âgé·e·s. Un sordide modèle de société que nous combattons sur tous les fronts.

Giulia Willig