Fribourg

Fribourg : Succès pour une 1re pride Trans*... pas si transversale

Samedi 25 juin 2016, la 15e Pride romande a accueilli à Fribourg plus de 5000 participant·e·s pour une 1re édition aux couleurs trans* (rose, bleu, blanc), avec pour thématique «Arrêtons les discriminations et les violences liées au genre». La volonté et l’effort de mettre à l’honneur les luttes et personnes trans* peut être félicitée, mais une transphobie persistante et une normalisation grandissante, à l’intérieur même des communautés LGBTIQ romandes, n’ont pas manqué d’exacerber certaines tensions.

Une affiche… comme un cheveu sur la soupe

Les cordonniers sont les plus mal chaussés… Les organisateurs·trices de la Pride ont eu soin de visibiliser le plus possible les couleurs et les symboles trans* (discours, manifeste, exposition, drapeau de 10 mètres, licornes, panneaux signalétiques modifiés,…) tout en s’associant à l’organisation faîtière TGNS (Transgender Network Switzerland). Il y aura donc eu bien des surprises à la découverte de l’affiche de la soirée, qui présentait le corps d’une femme trans* nue, avec parties génitales masculines visibles, associée à un steak cru. On n’aurait en effet pu faire pire dans l’objectivisation des corps trans*.

Suite aux injonctions des associations, pire a pourtant été fait, avec une communication des plus dénigrantes envers la communauté trans*, arguant que «le syndicat des licornes ne s’est pas encore plaint» et livrant un correctif visuel rendant ce corps inacceptable, « interdit » pour les moins de 18 ans. Une réponse qu’une manifestante n’a pas manqué de décrier pendant la parade en scandant: «nos corps ne sont pas des steaks, le syndicat des licornes vous emmerde».

Du massacre du Pulse à Ecône, en passant par la normalisation

Deux semaines après l’attaque sanglante du Pulse à Orlando, hommage a été rendu aux victimes à travers une minute de silence. Comme l’a déclamé Marianne de Uthemann, responsable du groupe trans* de l’association 360: «le fait que le tueur se soit revendiqué de l’Etat Islamique ne doit pas nous faire tomber dans les travers de l’islamophobie et nous devons nous rappeler que les discriminations sexistes, transphobes, homophobes et racistes sévissent aussi dans notre pays, de façon systémique, et malheureusement également au sein de nos communautés LGBT».

Alors que Saïda Keller-Messahli du Forum pour un islam progressiste était invitée à discourir, il aurait ainsi été tout aussi intéressant d’entendre la position de nos propres représentants ecclésiastiques. La municipalité de Fribourg avait en effet autorisé la Fraternité PIE X d’Ecône – confrérie ultraconservatrice proche des partis d’extrême droite et du courant négationniste – à manifester sur le parcours de la parade à coup de chants et prières en latin pour: «montrer notre désaccord quant au fait qu’il y a toujours plus de droits pour les homosexuels» (Père Schreiber, PIE X). Une preuve, s’il en fallait, qu’il n’est pas nécessaire d’aller chercher les homo/transphobes dans l’islam.

Au risque d’exacerber encore les tensions, préfecture et police cantonale ont demandé à ce que toute association présente signe un article lui signifiant que les provocations ou actes considérés comme hostiles envers la Fraternité étaient interdits. En réaction à cette provocation incompréhensible, quelques rares manifestant·e·s se sont risqués à un kiss-in à leur passage. Bien que n’ayant pas été exclues du cortège, c’est le service d’ordre même de la Pride qui s’est chargé de réprimer ces ardeurs amoureuses. Un baiser, un cul nu, des fétichistes dans une Pride, quel blasphème camarades!

La lutte se doit d’être intersectionnelle et transversale

Force est de constater que plus les luttes avancent, plus les Pride se normalisent, tout comme les campagnes politiques. Une normalisation qui se fait au détriment des autres, qui stigmatise à l’intérieur de la communauté celles et ceux déjà exclus de la société. Dans les Prides, dans les médias, dans les campagnes, surtout pas de personnes trop bizarres. On veut montrer qu’on est comme tout le monde, qu’on veut un chien, une maison, un enfant, alors on refuse les trans*, les folles, les esclandres. Mais lorsqu’il s’agit de faire bonne figure, le podium est ouvert. Où est donc passée la lutte pour le droit à la différence? Le droit d’être qui l’on est avec les mêmes devoirs et les mêmes droits? Comme l’a conclu Annick Ecuyer, co-présidente de Pro Aequalitate lors d’un discours qui aura eu le mérite de dénoncer sans langue de bois ce qui se tait dans les associations, «nous ne pouvons pas cacher les personnes trans* et queer pour faire bonne figure auprès des hétérocis, pour caresser dans le sens du poil le patriarcat».

Comment maintenir la communauté LGBTIQ unie lorsque l’on voit par exemple l’initiative parlementaire de Matthias Reynard, qui vise à étendre l’interdiction de discrimination fondée sur le racisme à l’orientation sexuelle, tout en omettant complètement l’identité de genre? Et quid des luttes vitales contre la psychiatrisation et la stérilisation forcée? On constate que la transphobie et le racisme ne sont pas l’apanage de la société extérieure, mais se retrouvent également dans les associations LGBTIQ. Il serait temps qu’elles prennent des engagements fermes et concrets pour lutter contre cette gangrène. Les luttes ne doivent souffrir ni de hiérarchisation ni de division, elles sont inextricables et seul un front uni, intersectionnel et transversal pourra amener à l’auto-émancipation de toutes et tous.

Pride Ouest 2017

Sous d’autres aspects, cette Pride fut festive et la population était au rendez-vous. Gageons que les quelques réflexions faites aux organisateurs·trices et aux associations sauront être interprétées à des fin utiles et non à des fins de représailles. Et que la Pride Ouest 2017 à Berne s’en inspire pour une Pride plus libérée, moins répressive et normative!

Marjorie Blanchet