Colombie

Colombie : Nouvelles du front

Depuis plus de 50 ans, des mouvements de guérilla agissent en Colombie sur de larges parties du territoire. Des pourparlers de paix ont été engagés à Cuba entre le gouvernement Santos et les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) en février 2012. Plus récemment, des négociations ont été annoncées au Venezuela (à Caracas) entre l’ELN (Armée de Libération Nationale) et le gouvernement. Nous faisons ici le point de la situation avec une de nos camarades.

Pourquoi l’ELN entre-t-elle aujourd’hui en négociations?

Actuellement il y a une forte demande pour la paix dans toute la société. Les dernières mobilisations sociales sont massives et pour l’ELN le vœu exprimé de trouver une alternative au système actuel est essentiel. Les luttes paysannes, indigènes, étudiantes et ouvrières qui se développent partout sont porteuses d’espoir et posent la question des changements sociaux en de nouveaux termes. Selon le commandant de l’ELN, Pablo Beltrán, il est important d’honorer les demandes du peuple et de rester fidèle à la consigne «siempre junto al pueblo».


Antonio García et Pablo Beltrán de la délégation de l’ELN

Qu’est-ce qui va être discuté?

L’objectif des négociations qui doivent s’ouvrir est de trouver un accord non seulement pour mettre fin au conflit armé, mais pour mettre en place un processus de transformation sociale et politique permettant de créer une «Colombie en paix et équitable». Concrètement, l’agenda des négociations se présente comme suit:

  1. Participation de la société dans la construction de la paix
  2. Démocratie pour la paix
  3. Transformations nécessaires pour la paix
  4. Victimes
  5. Fin du conflit armé
  6. Mise en œuvre de l’accord

Comment la société civile est-elle impliquée?

Les parties se sont mises d’accord sur le fait que la société civile doit avoir un rôle protagoniste dans toutes les négociations. Ce n’est ni le gouvernement, ni l’ELN qui représentent en tant que tels la société colombienne. Selon l’ELN, c’est la société elle-même qui doit indiquer de quelle manière elle entend prendre part au processus de transformation pour une paix juste et équitable. Il doit y avoir un engagement régional, sectoriel et pluraliste de tou·te·s les acteurs et actrices de la société colombienne, qui s’exprime non seulement à travers des forums et des espaces institutionnalisés, mais sous une forme nouvelle engageant concrètement toutes les parties.

L’émigration colombienne, elle aussi pour une large part victime du conflit, aura également la parole dans ce processus de discussion. La participation de la société civile dans son ensemble ne doit pas être que consultative. Ses propositions devront être prises en compte de façon effective.

Quel est l’enjeu d’une discussion sur la démocratie pour la paix?

La répression violente des récentes mobilisations de masse montre la nécessité d’une transformation radicale de l’Etat pour permettre une expression libre des besoins sociaux et politiques. Dans l’agenda, il est clairement indiqué qu’il faut une révision des cadres législatifs et des garanties pour la liberté de manifester, et qu’il faut résoudre la situation juridique des personnes en procès ou condamnées dans le cadre de manifestations publiques.

Quelles sont les transformations essentielles pour assurer la paix?

L’agenda prévoit un programme de transformation pour en finir avec la pauvreté, l’exclusion sociale, la dégradation de l’environnement et tout cela dans une perspective d’équité. Les demandes du mouvement social concernant la propriété de la terre, l’exploitation des mines, l’utilisation des territoires impliquent la discussion du modèle économique, ce que refuse le gouvernement. Il est paradoxal de voir que l’agenda politique prévoit la suppression de la pauvreté, mais non la discussion du modèle économique. On voit ici l’importance de la revendication d’une participation effective de la société civile, l’importance de refuser qu’elle ne soit là que comme simple décor…

Comment se pose la question des victimes?

Vérité, justice, réparations, mémoire et engagement de non-répétition sont à la base du pardon et du processus de réconciliation. Faire respecter ces points inscrits à l’agenda, qui révèle par ailleurs l’importance de la reconnaissance de toutes les victimes et de leurs droits, est essentiel à la construction d’une paix stable et durable.

Paradoxalement, alors que ce point des victimes figure sous cette forme dans l’agenda, le gouvernement colombien exige de la guérilla, comme préalable à la négociation, qu’elle libère les quelques otages qu’elle détient encore. Cette demande est d’autant plus problématique, qu’en même temps le gouvernement continue les hostilités contre la population civile à travers des institutions comme l’ESMAD (Escadron anti-émeute accusé par les manifestant·e·s d’être responsable des mort·e·s et des blessé·e·s lors des manifestations) et que se poursuivent les complicités entre les paramilitaires et l’armée colombienne. Il y a une tension très forte sur ce point: l’Etat colombien et ses classes dominantes refusent d’assumer leur responsabilité ; ils cherchent à faire passer les violations des droits humains dont ils sont responsables comme de simples actes isolés ne nécessitant ni une action particulière, ni une reconnaissance.

La fin du conflit est-elle imaginable?

Le but est d’éradiquer la violence de la politique et de construire la société de façon à assurer une paix véritable. Toutes les parties sont d’accord sur ce point. Mais cela impliquera un combat conséquent contre les paramilitaires dans toutes les sphères de la société, y compris au sein de l’Etat colombien. Dans l’immédiat, on attend que les négociations publiques en Equateur deviennent une réalité, comme le demande avec insistance la société colombienne.

Franklin Richard