Les sans-papiers en Suisse

Les sans-papiers en Suisse: Nouvelle enquête sur une réalité qui reste stable

Le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) a récemment publié une étude intitulée «Les sans-papiers en Suisse en 2015». Une mise à jour bienvenue, la dernière étude en la matière datant de 2005. Mais la situation a-t-elle vraiment évolué?

Les résultats de l’enquête du SEM sont à prendre avec beaucoup de pincettes puisqu’il est, par définition, extrêmement difficile d’obtenir des informations précises sur les personnes ne disposant pas d’autorisation légale de séjour. Le SEM estime que le nombre de sans-papiers femmes et hommes résidant sur le territoire suisse en 2015 est compris entre 58 000 et 105 000, et qu’il avoisine plus probablement les 76 000. Leur proportion dans la population totale serait stable par rapport à la dernière enquête de 2005, ce qui s’expliquerait par une stabilité de la demande de main-d’œuvre peu qualifiée sur le marché du travail.

 

 

Femmes de ménage et travailleurs saisonniers

La majorité des sans-papiers résiderait dans les centres urbains, Zurich, Genève et Bâle en tête. Près de la moitié (51 %) seraient des femmes et 10 % seraient mineurs. Les deux-tiers (68 %) seraient des personnes seules contre un tiers de familles. Concernant la typologie des personnes sans-papiers, la centaine de pages d’enquête du SEM nous apprend notamment que la plupart de ces personnes sont en Suisse depuis plusieurs années et que la majorité d’entre eux·elles (63 %) sont entrés sur le territoire comme touristes ou de façon clandestine.

En Suisse romande et au Tessin, cette proportion se monterait même à 78 %. Les autres seraient, dans des proportions similaires, des débouté·e·s de l’asile ainsi que des personnes restées après l’expiration de leur permis B ou C. Quant à l’origine des sans-papiers, la majorité proviendrait d’Amérique latine (43 %), puis d’Europe (24 %) et enfin d’Afrique (19 %) et d’Asie (11 %). De manière générale, les latino-­américaines sont surtout des femmes qui travaillent dans l’économie domestique, tandis que les européens, les asiatiques et les africains sont majoritairement des hommes employés dans le bâtiment, l’hôtellerie-­restauration ou encore l’agriculture. Ce sont eux qui seraient les plus touchés par le travail saisonnier.

 

 

Profits pour les uns, précarité pour les autres

De manière générale, l’écrasante majorité des personnes sans statut légal (près de 90 %) exercent une activité lucrative en Suisse, dont la moitié dans des ménages privés (jusqu’à 70 % dans les cantons romands). Le bâtiment (18 %) et l’hôtellerie-restauration (16 %) sont les deux autres secteurs d’activité principaux. Le SEM estime que c’est dans ces deux branches que les sans-papiers seraient confrontés aux conditions de travail les plus précaires. Il souligne en outre que les conditions de travail pour les personnes résidant illégalement en Suisse se sont dégradées au cours des dix dernières années du fait d’une concurrence accrue des personnes provenant de l’UE/AELE.

Le SEM rappelle, à juste titre, que les économies réalisées pour les patrons qui emploient une main-d’œuvre sans statut de séjour légal compensent largement les éventuelles amendes encourues, qui restent extrêmement faibles. D’autre part, le SEM souligne que les régularisations de sans-papiers sont en recul en Suisse, tandis que l’échange de données entre les assurances sociales et les autorités se serait renforcé dans certains cantons au cours de la même période. De plus, la révision de la loi sur les étrangers (LEtr) de 2008 a durci les peines encourues pour les personnes sans statut légal. Traque des autorités et précarité sur le marché du travail pour les sans-papiers d’un côté, juteux profits pour les patrons de l’autre. Quand cette hypocrisie nauséabonde cessera-t-elle enfin?

Giulia Willig