Street art business

Au début du mois de mars, l’artiste Blu, qui a fait de la rue son espace d’expression et s’est notamment fait connaître grâce au court-métrage Muto, a décidé d’effacer l’ensemble de ses œuvres présentes dans sa région natale de Bologne depuis près de 20 ans. En jeu: la marchandisation de son art par les curateurs de la grande exposition consacrée au street-art dans le Palazzo Pepoli.

La nouvelle  a suscité un certain émoi dans la communauté des artistes et admirateurs de street-art. Blu, artiste anonyme mondialement reconnu pour ses travaux pharaoniques, poétiques et engagés, recouvre, en compagnie de nombreux autres graffeurs locaux en colère, ses œuvres d’un voile de dispersion grise. Depuis quelques années et l’émergence de grands noms dans le milieu, comme Banksy, OsGemeos ou Blu, le street-art, terme fourre-tout regroupant autant le tag et le graffiti que les pochoirs, collages ou dessins réalisés au pinceau, les marchands d’art essaient de commercialiser cette forme d’expression libre, gratuite et très souvent illégale.

Si nombre d’artistes franchissent allègrement le pas des galeries, en transvasant leurs couleurs sur toiles et jouent ainsi le jeu de la marchandisation décorative du graffiti (une trahison de l’esprit originel dirait la Old School qui a raccroché les bombes!), d’autres, à l’instar de Blu, défendent une démarche artistique complètement libérée des conditions imposées par les grands spéculateurs capitalistes sur les productions culturelles en général. La rue devient ainsi une galerie à ciel ouvert, avec ses peintures périssables. Alors, quand le président de Genus Bononiae (branche culturelle de la Fondation bancaire Carisbo), Fabio Roversi-Monaco, annonce la participation involontaire de dizaines d’artistes à cette exposition intitulée Street Art, Banksy & Co. L’arte allo stato urbano, il suscite immédiatement la colère de toute la communauté. Car la démarche est très autoritaire.

 

Murs gris vs copyleft

En effet, se sentant légitimés par la nécessité de sauver ces œuvres d’une prévisible destruction, les concepteurs du projet ont mandaté des techniciens pour découper les murs sur lesquels elles reposent, afin de pouvoir les exposer au sein du Palazzo Pepoli. Pour les auteurs et tous ceux qui militent pour conserver l’essence de cette forme d’expression, il s’agit purement et simplement de spoliation dont le but est d’exploiter leur travail à des fins mercantiles. Pour Blu, une seule réponse possible s’impose: des murs gris.

On peut juger la méthode brutale, mais elle a malheureusement des précédents. Ces dernières années, les pochoirs politiquement engagés de Banksy, qui avait entre autres peint le mur de la honte en Palestine, ont commencé à disparaître des villes anglaises, laissant à leur place de vastes balafres de briques et béton. Les spéculateurs, voleurs-artisans de la fraise à diamants, commençaient enfin à saisir la valeur marchande de telles créations sur le marché. En effet, l’engouement populaire pour cette forme d’art ne cesse de croître depuis 20 ans et la cote des meilleurs, elle aussi involontaire, augmente proportionnellement.

On imagine bien les juteux bénéfices que les marchands d’art comptent tirer d’artistes cachés dans un anonymat recherché, aux œuvres gratuites et d’autant mieux sujettes à l’absence de copyright qu’elles sont illégales. On est presque étonné qu’ils n’aient pas commencé plus tôt. Devant le développement de cette appropriation scandaleuse d’un art conçu par ses auteurs comme libre, sous copyleft et destiné à disparaître, ils préfèrent anticiper cette fin et fermer leur galerie urbaine à Bologne.

Naturellement, beaucoup dé­plorent ce dénouement tragique qui prive les habitant·e·s de Bologne des fresques géniales de son natif, mais ils sont aussi nombreux à dénoncer cette nouvelle attaque de l’élite capitaliste dans un domaine de l’expression culturelle qu’elle n’a pas réussi à structurer en marché. La réaction contre ce vol et cette hypocrisie est radicale, comme doit être systématiquement notre réponse aux volontés expansionnistes du Capital.

C.J. Pellaux