Licenciements et droit: les salarié-e-s dans la misère

Licenciements et droit: les salarié-e-s dans la misère


Pas une semaine sans de nouvelles annonces de suppression d’emplois et leur charrette de licenciements. Ce qui reste cependant bien caché, c’est la multiplication des licenciements individuels, avec la négation qu’ils impliquent de la dignité de celles et ceux qui en sont victimes.



A Veillon, à Swiss Dairy Food ou à la Poste, les travailleuses et travailleurs ont répondu en s’organisant collectivement, en descendant dans la rue, en arrêtant le travail. Ils-elles font cependant simultanément l’amère expérience de l’absence de droits réels, inscrits dans la législation du travail, sur lesquels ils-elles auraient pu s’appuyer pour agir. En effet cette législation est avant tout fondée sur le principe de la liberté pour l’employeur de résilier un contrat de travail, liberté qui ne connaît guère d’obstacle sur un plan juridique.

Inégalité structurelle


Les droits en matière de licenciement sont avant tout fondés sur une fiction, celle de l’égalité des parties, d’un côté le-la salarié-e, de l’autre le patron. Cette égalité est bien entendu un leurre absolu ! La résiliation d’un contrat de travail a des conséquences bien différentes si l’on est une femme seule qui travaille et élève en même temps ses deux enfants ou un employeur qui veut adapte son « stock » de travailleuses-eurs aux fluctuations de son carnet de commandes. Le principe de la liberté de résilier se traduit notamment par le fait que le juge n’est pas compétent pour prononcer la nullité d’un congé et ordonner la réintégration à son poste de travail de la personne licenciée. Quelques exceptions à l’application de ce principe, lorsque celle-ci est malade, accidentée ou que la résiliation de ses rapports de travail fait suite à une réclamation fondée sur la loi sur l’égalité entre femmes et hommes. Dans la quasi- totalité des situations, le juge du tribunal de prud’hommes ne pourra octroyer, s’il considère que les motifs du congé sont abusifs au sens de la loi, qu’une indemnité pouvant aller jusqu’à l’équivalent de six mois de salaire. Dans la pratique, la majorité des personnes dont le licenciement est reconnu comme abusif se voient octroyer une indemnité égale à un ou deux mois de salaire.

Licenciements collectifs, procédure alibi


En matière de licenciement collectif, le seul droit reconnu à la représentation des travailleurs-euses dans l’entreprise ou, à défaut aux travailleurs-euses eux-même, c’est celui d’être consulté. Pas question d’être écouté ou entendu ! Elles-ils ne pourront en effet que formuler des propositions sur les moyens d’éviter les congés, d’en limiter le nombre ainsi que d’en atténuer les conséquences, le patron n’étant cependant nullement tenu de les prendre en compte. Ces propositions seront ensuite simplement transmises aux autorités cantonales compétentes, avec la notification par l’employeur du projet de licenciement collectif. La seule sanction du non-respect de cette procédure de consultation consiste en la possibilité, pour les syndicats ou les salarié-e-s concerné-e-s, de faire constater cette violation des dispositions légales en justice. Sur la base de ce constat, le juge pourra octroyer aux salarié-e-s une indemnité égale au maximum à deux mois de salaires. En résumé, aucun droit de discuter même du bien-fondé des licenciements collectifs annoncés et encore moins de les empêcher. Cette procédure légale est une véritable peau de chagrin, le reflet sur le plan juridique d’un rapport de force social extrêmement favorable aux intérêts patronaux. Cela n’empêche du reste pas certains employeurs de ne même pas respecter ces dispositions, pourtant extrêmement peu contraignantes pour eux. Pas touche au pouvoir patronal ! Certaines conventions collectives de travail(CCT) améliorent quelque peu cette situation. Encore faut-il que les syndicats signataires aient les moyens de les faire appliquer… Et surtout il faut rappeler que les CCT ne s’appliquent qu’à une minorité de salarié-e-s dans ce pays.


Quant à la mise en œuvre d’un plan social, aucune disposition légale n’oblige un employeur à la prévoir. Là également, certaines CCT instituent une obligation pour le patron de négocier un plan social en cas de licenciement collectif. Un tel plan social peut par exemple contenir des clauses telles que l’octroi d’indemnités liées à la durée des rapports de travail, la prise en charge par l’employeur d’une formation complémentaire pour les employé-e-s licencié-e-s ou les conditions d’une mise à la retraite anticipée.

S’opposer aux pleins pouvoirs patronaux!

L’extrême faiblesse de la protection, en droit suisse, des travailleuses et travailleurs en cas de licenciement individuel ou collectif ne saurait être surmontée prioritairement par des propositions de modifier la loi au niveau parlementaire. L’action collective des salarié-e-s qui se défendent contre des licenciements constitue l’instrument essentiel pour mettre en question les pleins pouvoirs dont se sont dotés les employeurs dans ce domaine. Le projet de loi, actuellement en consultation sur le plan fédéral, de rendre obligatoire la mise en place d’un plan social à travers des mécanismes de conciliation et d’arbitrage est fondamentalement insatisfaisant. Rien n’y figure quant au contenu même de ce plan : il y a fort à parier qu’il sera vraisemblablement très limité. Car, lorsque des licenciements collectifs sont annoncés, les salarié-e-s se trouvent par définition dans un rapport de force très négatif vis-à-vis de leur employeur. La seule voie, sur un plan juridique, est celle d’inscrire un droit pour les travailleuses et travailleurs à obtenir l’annulation des licenciements projetés. Ce droit pourrait être mis en œuvre devant la juridiction du travail ou dans le cadre d’une décision de l’ins- pection cantonale du travail qui examineraient, par hypothèse, la justification des licenciements annoncés.


Jean-Michel Dolivo