Des cadeaux fiscaux à tour de bras

Des cadeaux fiscaux à tour de bras : La RIE 3 adoubée par la Chambre des cantons

Lundi 14 décembre, le Conseil des Etats s’est penché sur le projet de Troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE 3). Sans surprise, le projet de loi a été validé par 31 voix contre 9. Face aux gigantesques baisses de l’impôt sur le bénéfice prévues dans cette réforme, soi-disant pour protéger les sociétés transnationales et les holdings qui s’y verraient menacées, aucune formation politique n’a levé le petit doigt. Parti Socialiste (PS) et Verts se sont contentés de discuter d’éléments marginaux, validant la démarche de fond de cette réforme. La droite n’a pas contenu son ardeur à mettre en place de nouvelles baisses d’impôts pour les dirigeants et actionnaires d’entreprises. 

Rappelons l’essentiel: la RIE 3 prévoit de réduire considérablement la fiscalité des entreprises sur le sol helvétique. Selon les milieux dirigeants suisses, ces mesures sont prises dans le but de réduire les tensions entre la Confédération et ses partenaires internationaux (UE et OCDE). Ces derniers exercent en effet, surtout depuis 2007, des pressions sur les autorités fédérales pour qu’elles abrogent les statuts d’imposition spéciaux dont bénéficient les entreprises étrangères, sociétés, holdings et autres société administratives.

En clair, une série de sociétés s’installent en Suisse pour fuir le fisc de leur pays d’origine, avec des différences de taxation entre sociétés indigènes et transnationales pouvant aller du simple au triple, selon les barèmes cantonaux. Bien sûr, l’abrogation de ces privilèges fiscaux serait un point positif en soi. Source d’un dumping fiscal de grande ampleur, ces cadeaux ne sont au fond rien d’autre que du vol légal et organisé à l’échelle internationale.

 

 

Un manque à gagner de 4 à 5 milliards par année

Néanmoins, l’objectif réel du Conseil Fédéral, de la droite et des milieux patronaux, est tout autre : sous couvert d’en finir avec les statuts spéciaux, la RIE 3 prévoit d’introduire une série pharamineuse de nouveaux privilèges fiscaux qui s’appliqueront à toutes les grandes entreprises.

Baisse massive de l’impôt sur le bénéfice, introduction de la Patent box (déduction des bénéfices provenant des patentes, des brevets et des droits analogues), déduction des dépenses consacrées à la recherche et développement (R&D), déduction des intérêts notionnels (déduction du bénéfice imposable du taux d’intérêt fictif qui aurait été obtenu par des actionnaires s’ils avaient investi sur le marché des capitaux, plutôt que dans leur propre entreprise), et peut-être encore suppression du Droit de timbre (impôt perçu lorsque les entreprises augmentent leur capital).

Ces mesures en cascade coûteront aux collectivités publiques la somme colossale de… 4 à 5 milliards de francs par année ! Derrière, ce sont des cures d’austérité drastiques dans les services publics et des augmentations d’impôts pour la population qui courent à grand pas, pour compenser ce manque à gagner.

La semaine dernière, le Conseil des Etats entamait une discussion parlementaire qui devra préciser l’ampleur de ces déductions. Le Conseil National devra à son tour se prononcer, au début de l’année prochaine, et un deuxième tour parlementaire pourrait survenir, si le vote diffère. Néanmoins, la Chambre des cantons a donné le signal d’une version plutôt « dure » de la réforme. Toutes les principales mesures ont été validées et précisées. La baisse générale de l’impôt sur le bénéfice est adoubée. La Patent box doit permettre de déduire jusqu’à 90 % des bénéfices générés par les brevets et patentes ; les dépenses en R&D pourront être déduites des bénéfices imposables, à hauteur de 150 %. A l’exception de la suppression du droit de timbre (qui rapporte environ 300 millions à la Confédération), pour l’heure mise de côté, et de la déduction des intérêts notionnels, la RIE 3 est dans le tube.

 

 

La position du PS

De son côté, le PS a annoncé, dans un communiqué du même jour, qu’à moins «que des mesures concrètes de compensation des pertes fiscales par les entreprises et les actionnaires ne soient fixées, le PS se battra contre la RIE3». La ligne défendue au Conseil des Etats contenait pourtant une large part d’adhésion aux privilèges fiscaux. «L’objectif de cette réforme, selon Geraldine Savary (VD), est de tenir compte des spécificités cantonales en matière de fiscalité, d’harmoniser mais sans contraindre […] cette réforme a aussi pour but d’éviter le départ des entreprises et donc d’éviter les pertes d’emplois. » Une adhésion de fond que Christian Levrat n’a pas manqué de souligner : «l’objectif de la troisième réforme de l’imposition des entreprises doit être soutenu».

Autrement dit, aucune opposition de fond à la RIE 3 ne s’est exprimée durant ce débat, pas même dans les rangs de la gauche parlementaire. Pire, des informations pour le moins erronnée ont été reprises par Christian Levrat qui n’a pas hésité à affirmer que les PME économiseraient presque 10 points d’impôt. Cette affirmation est purement fausse. Pour prendre l’exemple vaudois, ce sont les 1,6 % des entreprises les plus profitables qui paient 93 % de cet impôt. Ainsi, plus de 98 % des personnes morales ne sont pas ou très peu concernées par ces cadeaux. Que le PS relaie ainsi la désinformation des milieux patronaux est grave !

 

 

Vaud : première étape de la contre-offensive !

Face au rouleau compresseur néolibéral de la RIE 3, il apparaît urgent qu’une coalition large (associative, syndicale et politique) exprime une opposition de fond, en bloc et en détail, aux objectifs réels de cette réforme. Et pour mettre un cran d’arrêt à cette machine de guerre des milieux patronaux, la première bataille se joue en terres vaudoises : Le Conseil d’Etat ayant décidé d’anticiper ce projet, un référendum a abouti lundi dernier pour le contrer. Le vote aura lieu le 20 mars.

 

Dépôt des 14 390 signatures du référendum vaudois, 21 décembre 2015.  François Graf/Strates

 

Pour sauver les services publics, et contre des augmentations de nos impôts : non à la RIE 3 !

Pierre Conscience