Démocratie syndicale

Démocratie syndicale : Qui décide?

Le 5 décembre dernier, les travailleuses et travailleurs de la branche ont massivement approuvé le nouveau contrat collectif de travail pour l’industrie graphique et l’emballage (CCT IGE).

Les négociations du CCT IGE  entre Syndicom/Syna (syndicats des travailleurs) et Viscom (association patronale) ont commencé le 24 juin 2015. Syna étant très minoritaire dans la branche, c’est essentiellement Syndicom qui a mené les discussions jusqu’au 4 novembre 2015, date de la dernière séance de négociation.

 

 

Déterioration significative des conditions de travail

Durant ces négociations, les syndicats ont perdu toute une série d’acquis du CCT, sans aucune contrepartie. La délégation syndicale était arrivée avec une seule revendication : un projet de préretraite (sur le modèle de celui du second œuvre dans la construction), difficilement finançable vu le vieillissement de la population et la disparition progressive des emplois de la branche.

Ce projet ayant été d’emblée refusé par la délégation patronale, les négociations ont consisté en une série de renoncements successifs qui impliquent une détérioration significative des conditions de travail, surtout pour les nouveaux·elles venu·e·s.

Au menu de son catalogue de revendications, la délégation patronale a ainsi demandé : la possibilité d’introduire les 42 heures, également dans les imprimeries de journaux, la disparition de dispositions favorables aux travailleurs·euses en cas de licenciements, la possibilité de renoncer aux majorations dues pour les heures supplémentaires, la suppression de l’obligation de compenser les suppléments de nuit réduits pour les salarié·e·s en poste, la suppression de l’indemnité de repas (inclue dans le salaire pour les employé·e·s en place et supprimée pour les nouveaux·elles venu·e·s), la suppression de l’épargne paritaire…

Après consultation de cette liste on peut donc raisonnablement s’interroger sur les raisons qui ont pu pousser 97 % des délégué·e·s à accepter une telle détérioration du contrat collectif. Et notamment se poser la question suivante : lors de l’assemblée du 5 décembre dernier à Berne, les travailleurs·euses ont-ils reçu toutes les informations nécessaires et objectives pour décider en connaissance de cause ?

 

 

Un vote orienté

A y regarder de plus près, la manière de présenter le résultat des négociations – qui se voulait claire et accessible à tous (PowerPoint sur écran géant) – était clairement orientée pour que le nouveau CCT soit accepté en l’état. Sciemment minimisées, les pertes les plus significatives figuraient ainsi entre parenthèses, noyées dans d’autres informations…

Les syndicats voulaient en effet signer à tout prix ce CCT qui, grande première, pourrait enfin être étendu de force obligatoire selon les dispositions prévues par les mesures d’accompagnement, et voir ainsi le CCT être appliqué à tous les salarié·e·s de la branche, indépendamment du fait que leur employeur soit membre d’une association contractante ou non.

Malgré le prix payé, les salarié·e·s n’ont cependant pour l’heure aucune garantie sur le fait que ce CCT raboté pourra être déclaré de force obligatoire. Cette procédure d’extension devra en effet passer par l’analyse et l’approbation du Secrétariat d’Etat à l’Economie puis par une publication officielle soumise à oppositions, suivie de négociations des oppositions éventuelles, avant d’être soumise en dernier ressort au Conseil fédéral pour validation. L’annonce, après la signature du CCT, du retrait de plus grand groupe d’imprimerie (et de presse) du pays de l’association patronale signataire risque en outre de porter un coup très dur, voir fatal, au quorum nécessaire pour obtenir que le CCT soit déclaré de force obligatoire.

Syndicom aurait-il pu con­vaincre les travailleurs·euses que s’opposer collectivement à toutes ces détériorations était possible ? Ce n’est peut-être pas certain. Reste que la méthode de mener des négociations sans aucune mobilisation, en présentant ce résultat peu glorieux comme un quasi-cadeau de Noël, laisse un goût amer.

 

 

Les conséquences d’un syndicalisme d’appareil

Nous subissons peut-être là les conséquences des diverses fusions d’appareils. A chaque nouvelle fusion, les syndicats s’épuisent dans la seule survie de l’organisation. La pratique récurrente de signer à tout prix des CCT qui se rapprochent dangereusement du Code des obligations est élevée au rang de ligne syndicale. Certains « syndicalistes » – à Syndicom mais aussi ailleurs – collectionnent les CCT comme les gradés accumulent les médailles, et les chasseurs, les trophées.

Il arrive que les syndicats ne puissent pas les « vendre » auprès des travailleurs·euses qui leur reprochent d’avoir conclu des conditions de travail parfois moins bonnes qu’auparavant. Ces pratiques n’assurent même pas le « recrutement » de nouveaux membres, seul objectif qui vaille.

Signer des CCT sans mobilisation, sans participation voire sans consultation des travailleurs·euses est suicidaire : pris en otages dans des votations qu’ils ne maîtrisent pas, les membres perdent toute confiance en ce qui fut leur syndicat, devenu coquille vide.

 

 

La nécessaire réappropriation des syndicats par les travailleurs·euses

Toutefois, les travailleurs·euses ne peuvent pas simplement se défausser de leur absence de mobilisation sur le syndicat. En ne participant pas aux prises de décisions et orientations des syndicats, ils laissent le champ libre à certains « syndicalistes » professionnels. Ces derniers assurent une certaine continuité de l’appareil mais ne se préoccupent pas du vrai travail syndical de terrain, avec et pour les travailleurs, que nous appelons toutes et tous de nos vœux.

Il est grand temps, voire urgent, que les travailleurs et travailleuses se réapproprient leur syndicat et en fassent une organisation où ils se reconnaissent, représentative des différentes cultures et origines qui forment le tissu social, dans une démarche combative et démocratique.

Norman Walter