Le genre du chômage

Carola Togni vient de publier, d’après sa thèse de doctorat en histoire, une passionnante recherche articulant statistiques et textes législatifs officiels, articles et comptes rendus des débats syndicaux ainsi que des documents des archives féministes. L’article qui suit en présente les grandes lignes.

Durant tout le 20e siècle, les regards de la société sur le travail salarié et les droits au chômage des femmes ont été conditionnés par l’état économique du pays. Indépendamment des rapports sociaux et des réalités, le mythe de l’assignation primordiale de la femme au foyer, épouse et mère dépendante du salaire du mari, domine dans toutes les couches de la société.

 

 

Des décennies d’inégalités face à l’emploi

L’assurance chômage a été adoptée en 1924, la fin de la Guerre mondiale ayant provoqué un recul de la production. Le dispositif mis en place grâce aux luttes ouvrières concerne en priorité les ouvriers, soit les personnes qualifiées dont la présence sur le marché de l’emploi est considérée comme prioritaire. Or, les femmes, pourtant nombreuses dans les industries textile et horlogère, n’ont pas encore pu bénéficier de véritables formations professionnelles…

Les inégalités s’accentuent avec les périodes de crises et l’idéologie du « chef de famille », qui doit entretenir seul femme et enfants, prime : les femmes célibataires reçoivent des prestations moindres et les épouses sont renvoyées à leurs foyers sans indemnité. Des mesures explicitement discriminantes sont introduites dans la législation dès 1934.

Soucieuses de l’avenir des femmes célibataires, les autorités tentent de prôner la nécessité de convertir les chômeuses au service domestique (non indemnisé !). Même les associations socialistes et féministes saluent cette solution et prônent les cours de travail ménager pour jeunes chômeuses ! Cependant, on assiste à des révoltes individuelles, et d’autres voix s’élèvent peu à peu, au sein des mouvements féministes et syndicaux.

Les années de guerre 1939-1945 renforcent encore le système de genre, qui ne s’assouplira que très lentement par la suite. Il ne faut pas oublier que les années « glorieuses » de « plein emploi » se sont développées sur le dos des femmes (et des étrangers·ères), certes plus nombreuses et plus variées sur le marché du travail, mais happées par le temps partiel, favorisé par l’idéologie toujours présente du « salaire d’appoint ».

Si ce modèle est en perte de vitesse, il n’a pas encore disparu des mentalités, malgré les assauts des féministes des années MLF. Carola Togni insiste sur le travail de recherche et de débats à poursuivre. Cet ouvrage nous en donne l’envie !

Maryelle Budry

 

Carola Togni « Le genre du chômage. Assurance chômage et division sexuée du travail en Suisse, 1924–1982 » Editions Antipodes, 2015, 375 p.