Licencier un intégriste ou combattre ses idées
Licencier un intégriste ou combattre ses idées
La mesure de suspension décidée par le Conseil dEtat du canton de Genève unanime à lencontre de M. Hani Ramadan, professeur de français au collège de la Golette, pour avoir publié une prise de position en faveur de la charia dans les pages Débats du Monde (10 septembre) constitue une décision grave, qui menace la liberté dexpression.
Bien entendu, les opinions de Hani Ramadan méritent dêtre dénoncées et combattues avec la plus grande fermeté – de même que les forces politiques et les Etats qui violent les droits humains, en particulier des femmes, en prétendant sinspirer de la charia. Rappelons que la lapidation des femmes adultères ou la décapitation des homosexuels est encore pratiquée dans le monde.
Cependant, rien ne saurait justifier une mesure dexclusion professionnelle contre lauteur dune libre opinion, à qui lon ne reproche aucune faute dans lexercice de son métier. LEtat de Genève aurait-il dû engager un responsable religieux comme enseignant? Aurait-il dû lui demander de renoncer à son statut dimam (qui nest pas une position institutionnelle comparable à celle dun prêtre ou dun pasteur)? Ceci est une autre affaire, mais tel nest pas le motif invoqué pour la suspension de Hani Ramadan.
Que dit Hani Ramadan dans les colonnes du Monde? Tout dabord, il justifie la lapidation des conjoints adultères. Ensuite, il défend que le virus du sida a été créé par Dieu pour punir la société moderne de sa turpitude… Des propos absolument révoltants, dans lesquels ont dû se reconnaître, peu ou prou, bien des intégristes chrétiens, juifs ou musulmans, pour ne parler que des religions les plus proches de notre aire culturelle. LIslam na pas le monopole de la bigoterie réactionnaire.
Un intégrisme peut en cacher un autre…
Sur le premier point, rappelons que la lapidation (en réalité, des femmes) pour adultère est prescrite par «notre» Bible (Lev. 20;10 et Dt. 22; 22-24), sur laquelle le Conseil dEtat genevois prête encore serment. Il est vrai que Jésus a su habilement y déroger («Que celui qui na jamais péché jette la première pierre», Jn 7; 53-8; 11). En aucun cas, il ne sagit donc dune invention de lIslam.
Dailleurs, morale chrétienne et patriarcale oblige, au XVIIe siècle, à Berne et à Zurich, ladultère pouvait être puni de mort. Au XIXe siècle, en France, mais aussi dans les cantons de Fribourg, de Vaud et de Zurich, il était passible de prison. Jusquen 1989, le Code pénal suisse prévoyait encore une peine dun an de prison pour le sanctionner. Quant au Code pénal militaire suisse, il réprimait les rapports homosexuels entre adultes consentants jusquau début des années 1990…
Les propos de Hani Ramadan sont particulièrement sinistres, venant après la récente mobilisation internationale pour sauver Safiya Husaini de la lapidation, et plus récemment Amina Lawal, dont la vie est toujours menacée au Nigéria. Quant à considérer le sida comme une punition divine contre le péché, voilà un argument qui appartient au prêt-à-penser des religieux conservateurs de toutes obédiences.
En date du 17 septembre, lassociation «Act Up» a répondu aux propos méprisants de Hani Ramadan à légard des 40 millions de victimes du VIH dans le monde (10000 décès par jour) en bloquant symboliquement le standard téléphonique et le fax du centre islamique de Genève. Elle a eu raison. Contre la diffusion de propos réactionnaires de ce type, cest en effet à la mobilisation des citoyennes et des citoyens, mais aussi du monde associatif, quil faut faire appel, non à la réintroduction du délit dopinion.
Défendre la liberté dexpression
Comme le disait Rosa Luxemburg: la liberté cest toujours la liberté de celui ou de celle qui pense autrement. En sérigeant en censeur de la libre opinion de lun de ses employés, au nom de lobligation de réserve et de fidélité, le Conseil dEtat du canton de Genève sen prend à la liberté dexpression. Dès lors, on est en droit de se demander quelles opinions les employé-e-s de lEtat de Genève ne peuvent plus défendre publiquement sans sexposer à des sanctions? En ces temps de mise en cause croissante des libertés démocratiques au nom de la «lutte anti-terroriste», on aurait tort de sous-estimer les dangers dun nouveau maccarthysme.
En suspendant Hani Ramadan, le Conseil dEtat genevois ne prend pas de gros risques: les racistes et les xénophobes verront en lui avant tout un Arabe et un musulman (une lettre au Temps fait déjà lamalgame entre frères Ramadan et frères musulmans), les partisans de G. W. Bush un «suppôt du terrorisme», les républicains un défenseur de la théocratie, la gauche un réactionnaire moyenâgeux, les féministes un sexiste sans scrupule…
Vaut-il encore la peine de débattre avec Hani Ramadan? On peut en douter. Le Courrier y a renoncé, Le Monde lestime nécessaire. Il appartient à ces journaux den décider. Dans tous les cas, ses idées et les orientations politiques quelles fondent doivent être combattues. Elles doivent lêtre notamment par les mouvements anti-guerre et altermondialiste, justement parce que la politique belliciste des Etats-Unis pourrait leur valoir quelque indulgence.
Noublions pas quune flotte de bombardiers, bénie par un Etat de droit démocratique et moderne, sapprête à mettre lIrak à feu et à sang, quelques mois après lAfghanistan, tout ceci au nom de la justice et de la liberté. En même temps, dans les pays Occidentaux, des millions de travailleuses et de travailleurs sans papiers, dont une partie sont issus du monde arabo-musulman, sont livrés pieds et poings liés à des employeurs sans scrupule. La mobilisation contre la guerre et la solidarité active avec ces salarié-e-s de lombre ne son-ils pas les meilleurs antidotes contre lobscurantisme de certains imams?
Hani Ramadan ne doit pas être suspendu, encore moins licencié, pour ses opinions. Il en va de nos droits démocratiques essentiels. Pourtant, ses positions sont totalement inacceptables. Alors, que faire? Lexpérience historique a amplement montré quon ne combat efficacement de telles idées que par le débat, léducation et la mobilisation sociale, non par des mesures administratives, qui risquent dailleurs de se retourner plus vite quon ne le croit contre toute pensée qui dérange, à commencer par celle de la gauche anticapitaliste.
Jean BATOU
Vous pouvez retrouver le débat complet sur notre site www.solidarites.ch