Grèce

Première grève générale contre le 3e Mémorandum

Le 12 novembre dernier, des milliers de manifestant·e·s sont descendus à nouveau dans les rues d’Athènes et de toutes les villes grecques, confirmant que le mouvement social est bien vivant. Mais cela ne tombe pas du ciel…

 On peut suivre le fil de la résistance  depuis les élections de janvier 2015. La victoire de Syriza a certes été un moment historique mais elle n’a pas amené les secteurs les plus combatifs à rester chez eux pour attendre que Tsipras mène le combat. Le personnel des hôpitaux, de l’ERT (radio-télévision), les femmes de ménage, les employé·e·s des ports, se sont mobilisés de diverses façons contre les chantages des « Institutions » et les compromis du gouvernement.

 

 

Un terrain fertile

Confronté à toutes ces mobilisations et à une dynamique latente contre les diktats de la Troïka, Tsipras a été au final obligé d’appeler au référendum du 5 juillet. La semaine précédant le vote, les salarié·e·s ont une fois encore fait preuve d’opiniâtreté. Contre des attaques médiatiques incessantes et une politique inédite, des centaines de rassemblements se sont tenus sur les lieux de travail afin de discuter du vote et de la suite de la lutte. Après un fabuleux rassemblement, à la veille du référendum, « Oxi » (Non) a triomphé de façon écrasante avec 62 % des voix et une participation dépassant les 70 %.

Le principal héritage de cette bataille a été l’expérience acquise. La classe dirigeante avait montré les dents, mais ceux d’en bas n’ont pas cédé d’un pouce. C’est pourquoi le gouvernement a été contraint de faire adopter le 3e Mémorandum pendant les vacances d’août. Un procédé déloyal, déjà utilisé moult fois par la social-démocratie et la droite. Pourtant, le peuple n’est pas resté les bras croisés: les premières grèves et manifestations ont commencé les 15 et 22 juillet, avant même la décision du parlement.

Cette mobilisation à gauche s’est intensifiée après l’adoption du 3e Mémorandum. Les départs du parti qui ont conduit à la création de l’Unité Populaire n’expriment qu’une petite part de ce désarroi. Pour le contrôler, Tsipras a appelé à de nouvelles élections, déployant tous ses efforts pour imposer un seul dilemme : gauche ou droite. Autrement dit, le choix se limitait à opter pour une mise en œuvre « douce » et « négociée » des diktats européens, de toute façon inévitables, ou pour une attaque plus brutale. C’est ainsi qu’il a gagné le scrutin de septembre et non du fait du repli du mouvement.

 

 

Europe forteresse = Europe austérité

Pendant ce temps, l’afflux de réfugié·e·s, que la bourgeoisie tentait d’utiliser pour faire souffler un vent de panique, suscitait une vague de solidarité, dans les îles d’accueil comme en Grèce continentale et dans les grandes villes. Les sondages donnant Aube Dorée grande gagnante de cette crise ont été démentis. La solidarité pratique s’est vite transformée en mouvement politique exigeant le libre passage des gens fuyant la guerre.

Pourtant, une fois encore, le gouvernement s’est rangé du côté des oppresseurs. Tsipras a refusé de démanteler la clôture d’Evros, qui oblige de nombreuses familles à un périple dangereux en mer. A cette réponse décevante du gouvernement face à une crise humanitaire majeure se sont ajoutées les attaques aux caisses de retraite, aux salaires, à l’Etat social, etc. En plusieurs occasions, résistance et solidarité se sont exprimées dans la rue, en lien avec le rejet du 3e Mémorandum. Mais la source du problème est toujours plus évidente : l’Europe-forteresse c’est l’Europe de l’austérité et vice versa.

Début novembre, les travailleurs·euses des ports ont fait grève 4 jours, avec une participation massive : tous les navires sont restés à quai. En même temps, les employé·e·s des municipalités et communes ont occupé symboliquement plusieurs mairies, pour préparer aussi la grève du 12 novembre. Le 2 novembre, c’était aux élèves et étudiant·e·s de manifester… Plus de 5000 d’entre elles·eux sont déscendus dans les rues d’Athènes contre le démantèlement de l’éducation publique. A Thessalonique, Kalamata, Ioannina et Héraklion, leur mobilisation a aussi été impressionnante.

 

 

Vers la grève générale

La grève générale n’est donc pas tombée du ciel. Elle s’est appuyée sur ces expériences politiques et de luttes qui se sont intensifiées après les élections. Le fait que la GSEE (fédération des syndicats du secteur privé) a dû appeler à la grève, bien qu’ayant soutenu au préalable les mesures prises par Tsipras dans le cadre du 3e Mémorandum, reflète clairement une pression venue d’en bas. Les contradictions étaient telles que le parti Syriza a dû appeler à la grève contre le gouvernement de Syriza.

C’est ainsi que le 12 novembre, ces nombreux mouvements ont convergé dans les rues de plusieurs villes. A Athènes, il faut remonter à 2010–2012 pour retrouver des cortèges aussi importants, aussi riches et combatifs. La participation des employé·e·s du Metro à la grève n’a pas du tout empêché une foule énorme d’envahir le centre d’Athènes, obligeant les trois rassemblements prévus à s’unir en une manifestation massive qui, selon les estimations (habituellement sous-estimées) de la police, dépassait 25 000 personnes, soit en réalité sans doute plus de 50 000.

Elèves, étudiant·e·s, retraité·e·s, employé·e·s des ministères et des banques, personnels de la santé et des transports publics, tous étaient là. Navires, avions et trains ont été immobilisés. Et le même tableau s’est imposé dans toutes les villes importantes du pays.

Face à un gouvernement de « gauche » qui pratique l’austérité, le mouvement social grec regarde aujourd’hui plus à gauche. Nous allons vers un hiver chaud, mais, comme l’a dit une femme de ménage qui participait au cortège : à partir d’aujourd’hui, personne ne baissera la tête.

Dimitris Daskalakis