Union sacrée autour du secret bancaire

Union sacrée autour du secret bancaire


«Couchepin à Londres en sauveur du secret bancaire» titrait Le Matin l’autre jour. Lundi 4 novembre, pendant que les travailleurs du bâtiment se battaient pour avoir droit à leur retraite avant de crever, ce conseiller fédéral a en effet interrompu sa campagne, aux accents xénophobes, en faveur du démantèlement de l’assurance chômage, le temps de se rendre à Londres pour rompre une lance en faveur du secret bancaire «non négociable».



Dans ce domaine, le Conseil fédéral se bat en effet contre les injonctions européennes, alors que quand il s’agit de privatiser et de «libéraliser» les marchés, en ce qui concerne l’électricité ou la poste, par exemple toute velléité de résistance est – évidemment – présentée comme impensable!



Comme l’écrivait Le Temps1 à Londres: «Passées les convenances sur la nécessité d’un marché de l’emploi flexible, le Conseiller fédéral […] a répété qu’il n’était pas question pour la Suisse d’abandonner le secret bancaire…» Il a réaffirmé que le gouvernement ne voulait ni «de l’échange automatique d’information, ni de l’introduction d’un délit qualifié d’évasion fiscale»2 et s’est élevé contre «la confusion entre secret bancaire et blanchiment».



Couchepin reprend ici le flambeau de ses prédécesseurs qui se sont battus, au lendemain de la dernière guerre mondiale, contre les puissances victorieuses – USA en tête – qui menaient une offensive visant la levée de l’anonymat de la clientèle étrangère des établissements financiers suisses. Dans le but notamment que celui-ci n’entrave pas l’identification des fonds en provenance de l’Allemagne nazie gérés par les banques helvétiques… C’est le large succès de la contre offensive de la bourgeoisie suisse, avec des entorses au secret bancaire qui sont restées fort minimes, qui ont depuis plus de soixante ans assis la réputation d’inviolabilité de « notre » secret bancaire et cimenté la confiance accordée aux banques suisses de la part de la pègre financière internationale.

Spoliations au profit des nantis


Secret bancaire, mais de quoi s’agit-il? Deux phrases du spécialiste Sébastien Guex dans un récent ouvrage y répondent succinctement et éclairent cette pratique:



«Une part très élevée – certains parlent de 50% ou 60%, d’autres de 80% – de la fortune étrangère confiée à la place financière suisse échappe au fisc des pays d’origine et/ou provient de responsables politiques corrompus, du crime organisé ou encore de régimes dictatoriaux du Tiers Monde. Le secret bancaire helvétique contribue donc à protéger le produit d’une gigantesque spoliation commise aux dépens de millions de salariés , de paysans pauvres et de sans travail3



Ainsi, comme nous l’écrivions dans l’édito de «La Suisse comme paradis fiscal»4 , numéro spécial de solidaritéS publié l’an dernier: «La dénonciation inlassable du secret bancaire et l’exigence de son abolition constituent des tâches centrales pour les anticapitalistes de ce pays. En y renonçant, la gauche helvétique s’est pratiquement reniée»



Dans ce sens, il faut rappeler que le secret bancaire cou-vre les procédés et les circuits utilisés pour blanchir de l’argent sale qui sont largement les mêmes que ceux employés pour couvrir les vols – au profit de nantis et au détriment de la collectivité – que sont la fraude et l’évasion fiscale. «L’argent gris de l’évasion et de la fraude suit souvent les mêmes canaux que l’argent noir du crime…» relevait à juste titre l’ancien procureur général genevois Bernard Bertossa.5

Crime et évasion fiscale


On ne saurait donc combattre un aspect en banalisant l’au-tre, comme l’a fait l’autre soir au Grand Conseil genevois le député libéral – et avocat d’affaires – Michel Halpérin, plaidant pour un secret bancaire qui couvrirait ces simples «fragilités humaines» que seraient l’évasion fiscale et pour une Suisse qui «redresserait la tête» …et assumerait sa vocation de receleur international! En effet, le parlement genevois débattait le 24 octobre du secret bancaire. Il était saisi d’une résolution de l’UDC pour l’inscription de celui-ci dans la Constitution fédérale, résolution déposée en parallèle par le parti de Blocher dans nombre de cantons et que le parlement tessinois a approuvé récemment, ainsi que d’une motion libérale appuyée par le PDC et les radicaux «pour le soutien de la politique fédérale face aux attaques dirigées contre la place financière suisse et son secret bancaire».



Il était particulièrement nauséabond d’entendre les applaudissements d’une majorité du parlement genevois à l’adresse du porte-parole de l’UDC dans cette affaire. Il s’agissait du député UDC d’extrême droite Pierre Schifferli, connu entre autres pour son action dans le cadre de la Fondation Pinochet, visant à rassembler des fonds pour propager l’ idéologie du dictateur chilien, défendre le secret bancaire comme …un droit fondamental et universel de la personne! (A quand son inscription dans la déclaration universelle des droits de l’homme?) Et, à vrai dire, les autres orateurs de la droite ont abondé dans le même sens…

L’ombre de Pinochet


L’immense majorité des femmes et des hommes qui n’ont cure du secret bancaire, parce qu’ils vivent de leur travail et pas de l’exploitation de celui des autres, et qui n’ont en conséquence pas de fonds à confier aux banquiers, seraient évidemment bien en peine de revendiquer l’application à leur profit de ce droit de «la personne». Mais probablement dans l’esprit de Monsieur Schifferli, ne devient -on réellement une «personne» qu’à partir d’un certain nombre de centaines de milliers de francs de fortune. C’était en tout cas là assez probablement l’opinion de son mentor Augusto Pinochet!



Ce débat parlementaire doit être poursuivi – en urgence toujours – lors de la prochaine session du parlement genevois à mi-novembre. Nos député-e-s n’ont pas encore eu droit à la parole. Mais ils ne s’en priveront évidemment pas.



Les socialistes, par contre, ont eu la parole et se sont livrés à un exercice particulièrement spectaculaire et écœurant – candidature de Micheline Calmy-Rey au Conseil fédéral oblige – de reniement de toute position de gauche et de ralliement à l’union sacrée autour du secret bancaire. Le député PS Albert Rodrik, a ouvert les feux en saluant «la bonne inconditionnalité de l’Entente et de l’UDC à l’égard d’un certain nombre d’intérêts, tout à fait légitimes d’ailleurs…6 et poursuivi faisant une offre de services à la droite pour «réfléchir ensemble à ce qui pourrait être une forme d’appui [au secret bancaire] qui en vaille la peine.» Il a poursuivi en défendant le bon secret bancaire, soi disant incarné par l’article 47 de la loi sur les banques, en propageant le mythe cultivé par les banquiers de son institution comme un outil «créé en 1934 pour combattre les menées nazies», contre les «boursouflures» ultérieures ayant altéré la pureté de cette belle invention.

Un mythe mité…


A ce sujet, il faut rappeler que l’une des origine principales de ce fameux article 47 «…réside dans la découverte, en octobre 1932, d’une vaste filière organisée en France par des banques helvétiques permettant de frauder le fisc français en plaçant des capitaux en Suisse. Les sommes fraudées étaient gigantesques et mettaient en cause le gotha de l’Hexagone. L’affaire a suscité un immense scandale, déstabilisant quelque peu la clientèle étrangère des banques suisses. C’est pour rassurer cette clientèle que l’article 47 a été adopté7



A signaler en outre qu’Albert Rodrik a encore rendu hommage et «dédié le débat» à Maurice Aubert duquel, dit-il, il a lui même «appris l’éthique bancaire». Or cet avocat a été l’auteur d’un pamphlet sur la question, aujourd’hui toujours disponible …sur le site de Genève Place financière 8. Dans celle-ci, on retrouve, en préambule, les arguments mêmes mis en avant par l’UDC Schifferli: «L’obligation de discrétion du banquier garantit dans le domaine financier le respect de la sphère privée» qui s’ancrerait dans le fait que «…chacun a droit à la protection de la personnalité car elle représente l’une des garanties fondamentales des droits de l’Homme.» «Voilà pourquoi le secret bancaire existe…» y est-il écrit.

Ce que vaut un siège au Conseil fédéral


La cerise sur le gâteau de ce débat est venue de Micheline Calmy-Rey, qui a fait une déclaration, au nom du Conseil d’Etat genevois, saluant le «caractère bien intentionné» de la démarche de l’UDC, déclarant son allégeance et son «soutien au gouvernement suisse dans les pourparlers à venir» sur cette question avec l’UE. Et enfin, invitant le parlement genevois à «exprimer le même soutien» en votant la motion en débat.



Cette déclaration a été saluée – et soulignée – par des applaudissements appuyés, et même théâtralement soutenus et prolongés pour marquer le coup, en provenance des bancs les plus à droite du Grand Conseil…



Une marche de l’ascension hypothétique de la magistrate genevoise au gouvernement fédéral a été gravie ce soir là! Comme le disait la manchette de la Tribune de Genève un jour ou deux plus tard Calmy-Rey drague les partis bourgeois. Avec succès, peu après, le même quotidien relatait l’avis d’élus UDC vaudois qui voteront pour elle aux Chambres après le premier tour de l’élection du/de la successeur-e de Ruth Dreifuss. Pourquoi? Comme l’a dit l’un deux à la Tribune «…le candidat du PS doit appartenir à l’aile droite du PS…»9 ça n’était pas forcément l’étiquette de Micheline Calmy jusqu’à récemment. Elle a fait beaucoup d’efforts pour décrocher le label… Quelle tristesse!



Pierre VANEK

  1. Le Temps du 5.11.02
  2. En Suisse en effet l’évasion fiscale n’est toujours pas un délit, par contre la violation du secret bancaire qui la protège est passible des foudres du code pénal. La fraude fiscale quant à elle est définie de façon plus que restrictive.
  3. S. Guex in La Suisse dans la constellation des paradis fiscaux, Ed. d’en bas/COTMEC Ls/Ge. 2002 (p.173)
  4. solidaritéS, hors-série No 1 avril 2001, consultable sur notre site.
  5. Nouveau Quotidien du 20.6.95 cité par S. Guex dans l’ouvrage évoqué ci-dessus.
  6. Les citations d’Albert Rodrik sont reprises de la version officielle de son discours publié in extenso dans le bulletin interne du PS genevois No 34 du 1.11.02
  7. V. note 2 p. 70
  8. Le secret bancaire suisse sur www.geneva-finance.ch/secbanc.htm
  9. Tribune de Genève, 2-3.10.02