Elan de solidarité

Réfugiés bienvenue! - Du nouveau en Allemagne

Du nouveau en Allemagne

Ces dernières semaines l’affluence de réfugié·e·s en Allemagne a suscité un mouvement de masse d’accueil, de soutien et de solidarité. A la une des journaux allemands et dans les médias électroniques allemands ou internationaux, on peut observer la nouvelle culture du «bienvenue». [Cet article a été rédigé avant l’annonce du gouvernement allemand de la réintroduction du contrôle aux frontières , ndr]

Des centaines de personnes  se rassemblent dans les gares de Munich, de Francfort, de Cologne et dans de nombreuses autres villes. Ils applaudissent les réfugié·e·s arrivant en train. Ils apportent des fleurs, des boissons, des victuailles. Ils font des dons en espèces. Un grand nombre de personnes se portent volontaires pour trier et distribuer les vêtements, pour s’occuper des enfants, pour donner des cours d’allemand et pour rendre mille et un services.

La solidarité domine

C’est un processus qui s’exprime en profondeur. Des clubs de football organisent des équipes internationales composées de réfugiés et les intègrent dans les ligues à différents niveaux. Des milliers de gens, en dehors des structures établies des associations et des organisations politiques, se réunissent spontanément pour organiser l’aide aux réfugié·e·s. Coude à coude avec des membres d’associations antiracistes, avec des militant.e.s antifascistes ou de la gauche radicale, beaucoup de jeunes s’engagent dans ce mouvement de solidarité de manière très concrète, axée sur l’aide pratique aux réfugié.e.s. Dans les programmes des chaînes publiques comme dans ceux des grandes chaînes privées, les reportages, les débats, les émissions de tous genres en faveur des réfugié·e·s et de leur intégration se multiplient. Et toujours, c’est l’enthousiasme pour l’intégration des réfugié·e·s qui prime. Refugees welcome, ce slogan, jusqu’à nouvel ordre, est devenu dominant dans le débat public en Allemagne.

Il y a là une véritable opposition, un vrai contraste au regard des mobilisations xénophobes et anti-musulmanes des Pegida et de la vague d’actions violentes organisées par les néonazis contre les centres d’hébergement ainsi que contre des immigré·e·s. L’actuel mouvement d’accueil s’inscrit aussi en opposition à ce qui s’est exprimé lors de la première moitié des années 1990. Alors, les attentats et les manifestations violentes contre les réfugié·e·s de la guerre en Yougoslavie se faisaient sous le couvert d’une idéologie officielle qui a abouti au changement de la Constitution allemande en 1993. Le droit d’asile était alors réduit à l’extrême.

Il y a donc actuellement une polarisation extrême des sentiments dans la population allemande. Pour l’heure, ce sont les sentiments de solidarité qui sont dominants. Cela est soutenu par les organisations patronales qui insistent sur les chances pour «l’économie allemande» que représentent des centaines de milliers de personnes qui vendront une force de travail souvent bien qualifiée (ce qui vaut surtout pour les réfugiés venant de Syrie).

L’austérité reste une menace

Pour le gouvernement de Merkel et son prestige, c’est un triomphe de taille. Je ne fais pas partie de ceux qui aiment cracher dans la soupe. Il faut se réjouir du tournant de « l’opinion publique » actuelle en Allemagne. C’est une chance pour la gauche radicale qui peut coopérer avec tous ces gens qui se mettent en mouvement de manière solidaire, et entrer en dialogue avec eux. Toutefois, il convient d’analyser sobrement ce qui se passe. Dans sa présentation du budget, Schäuble vient de combiner les milliards pour l’accueil et l’intégration des réfugié·e·s avec la consigne à l’adresse de tous les ministères de réduire leurs dépenses. Cela signifie que la politique d’austérité reprendra de plus belle, ce qui prépare le contrecoup, la réaction. Dès que l’aide aux réfugié·e·s sera associée à l’aggravation de la situation sociale des pauvres et des petits revenus, les sentiments risquent de se retourner, y compris à une grande échelle.

Pour y remédier, il faudra que les sentiments solidaires se généralisent aux relations sociales dans leur ensemble afin de réclamer une répartition équitable des richesses, de réduire les inégalités, de revendiquer le droit à une vie décente pour toutes et tous.

Refuser tout «tri»

Une autre question importante est celle du tri, de la différenciation entre « bons réfugié·e·s » et « mauvais réfugié·e·s ». Par exemple, les ré­fugié·e·s de Syrie, même s’ils ne correspondent pas aux critères restrictifs du droit d’asile allemand depuis 1993, peuvent espérer acquérir un statut de réfugié reconnu, parce que l’opinion publique et la politique officielle reconnaissent la situation de guerre et de terreur sanglante et insoutenable en Syrie comme raison de la « fuite ». Mais les réfugié·e·s des Balkans sont plutôt qualifiés comme réfugié·e·s ou plutôt émigré·e·s « économiques » qui viennent en Europe occidentale et en Allemagne parce qu’ils sont « simplement » pauvres. La politique officielle du gouvernement de la grande coalition des chrétiens conservateurs (CDU-CSU) et du SPD (social-démocratie) vise à établir une liste des pays d’origine « sûrs » pour mieux pouvoir rapatrier de force les réfugié·e·s venant de ces pays.

A cela, il faut répondre que les raisons « économiques » ou plutôt sociales de l’exode sont légitimes au même titre que l’exil à cause de la répression politique ou de la guerre et de la guerre civile. Nous vivons dans un monde qui crée les inégalités criantes et la misère pour au moins deux milliards d’êtres humains. Seulement en s’y confrontant directement et en intégrant les réfugié·e·s, et non pas en s’isolant au moyen de frontières meurtrières et en se camouflant dans une forteresse, la majorité salariée des pays industrialisés dominants a une chance de s’émanciper.

Manuel Kellner  membre de la rédaction du Sozialistische Zeitung (SoZ)

Article paru initialement sur Viento Sur (vientosur.info). Intertitres et adaptation de notre rédaction