Liban

Liban : La campagne «Vous puez!» secoue le régime confessionnel

Le Liban avait connu quelques manifestations importantes au début de l’année 2011 contre le régime confessionnel à la suite des soulèvements régionaux, mais le mouvement avait malheureusement pris fin quelques mois plus tard. Une nouvelle dynamique populaire a commencé avec la campagne «Vous puez!», déclenchée à la suite d’une crise de gestion des déchets. 

Des tas d’ordures  se sont accumulés dans les rues de Beyrouth depuis le début du mois de juillet, après la fermeture d’un site majeur dans la ville de Naameh, ville côtière du Sud, lieu de décharge à ordures. Par la suite, le gouvernement d’unité nationale libanais, composé des forces du 8 et 14 mars 1, a transporté certains tas d’ordures dans les régions les plus pauvres pour soulager momentanément les tensions dans la capitale Beyrouth et épargner les quartiers les plus embourgeoisés. L’accumulation de déchets n’ayant toujours pas trouvé d’issue à la crise, la plupart des rues du Liban en sont maintenant remplies.

 

 

Malgré la répression, la mobilisation s’accentue

 

La classe bourgeoise dominante tente également de se diviser les profits de la privatisation des ramassages d’ordures en fonction de lignes confessionnelles et géographiques. La campagne « Vous puez ! » revendiquait d’abord une solution écologique à la crise des déchets, mais par la suite le mouvement s’est radicalisé pour dénoncer le régime confessionnel et bourgeois libanais dans son entier. Lors de la première mobilisation autour de cette campagne le samedi 22 août, plus de 10 000 personnes ont manifesté dans les rues de Beyrouth. Les manifestant·e·s mettent en cause tout les partis confessionnels et bourgeois du 8 et 14 mars dans le crise des déchets et la corruption qui gangrène le pays.

Face aux manifestant·e·s, la répression de l’armée et de la police fut violente. Ces derniers ont tenté de repousser les manifestant·e·s en dehors des routes menant au centre ville de Beyrouth, en tirant à balles réelles en l’air et en ciblant les manifestant·e·s avec des gaz lacrymogènes et des canons à eau. La police n’a pas hésité à les attaquer à la matraque, blessant plus de 75 personnes. Malgré la répression féroce, la mobilisation repartit de plus belle le lendemain, comme un défi à la police, avec environ 20 000 personnes dans les rues de Beyrouth. On pouvait lire sur les murs du luxueux centre ville investi par les manifestant·e·s des graffitis tels que «à bas le capitalisme», «Downtown Beyrouth appartient au peuple», «non à l’homophobie, au racisme, au sexisme et au classisme» et «Révolution».

Les différents médias libanais, tous au service des partis politiques et confessionnels, avec la collaboration des services de sécurité et même de certains membres de la campagne «Vous puez!» qui ne voulaient pas d’une radicalisation du mouvement et d’une mise en cause du système confessionnel, ont tenté de le discréditer dans son ensemble en caractérisant particulièrement les jeunes issu·e·s des banlieues pauvres de Beyrouth qui avaient rejoint le mouvement d’« infiltrés », d’émeutiers et de saboteurs. Une propagande mensongère, qui par les termes similaires utilisés, rappelle pour beaucoup de ma­ni­fes­tant·e·s la propagande du régime Assad en Syrie contre les manifestations pacifiques au début de la révolution en 2011.

 

 

L’onde de choc des processus révolutionnaires

 

Des mobilisations et sit-in ont eu lieu toute la semaine en dépit de la continuation de la répression qui a provoqué l’hospitalisation de plus de 400 personnes. D’autres mobilisations ont eu lieu dans d’autres localités du pays, mais plus particulièrement dans la région du Akkar. Dans cette région située dans le nord du Liban et qui est la plus pauvre du pays et la moins desservie en services, les populations locales se sont mobilisées sous le slogan «le Akkar n’est pas une poubelle», depuis que le gouvernement libanais a proposé de transporter les déchets dans cette région.

Le samedi 29 août, une nouvelle manifestation encore plus grande s’est déroulée dans la capitale Beyrouth, rassemblant entre 60 000 et 100 000 personnes. La jeunesse était présente en masse et avec un dynamisme important. On pouvait y lire et entendre les messages suivants : «Révolution contre la classe dominante, contre le confessionnalisme, contre le racisme et contre le patriarcat», «Laïcité, égalité et justice sociale», «De Douma [en Syrie] à Beyrouth le peuple est un et ne meurt pas», « De Baghdad à Damas, Beyrouth et la Palestine: une seule révolution», «Le peuple veut la chute du régime confessionnel», etc…

De nombreuses et nombreux manifestant·e·s dénonçaient également la corruption des élites politiques du 8 et 14 mars, de même que les politiques néolibérales et de privatisations qui ont appauvri les classes populaires du pays et entrainé la destruction des services publics. Les multiples tentatives des partis politiques confessionnels et bourgeois du 8 et 14 mars de coopter le mouvement à son avantage sont pour l’instant encore un échec. Les mobilisations au Liban, comme celle qui se poursuit en Irak et qui a rassemblé également des centaines de milliers de manifestant·e·s le vendredi 28 août, nous démontrent que l’onde de choc des processus révolutionnaires de la région débutés en 2011 sont loin d’être terminés, malgré les différentes offensives contre-révolutionnaires.

Joseph Daher