Hommage à Roger-Louis Junod

Hommage à Roger-Louis Junod : «On ne fait pas le bonheur des gens malgré eux, sans eux, et encore moins contre eux !»

Ecrivain, poète, essayiste, Roger-Louis Junod fut aussi un militant de la Nouvelle gauche socialiste, défendant un socialisme démocratique et humaniste.

Le 9 juillet 2015, Roger-Louis Junod (écrivain neuchâtelois) est décédé à Cortaillod. Agé de 92 ans, il avait enseigné le français et la littérature, jusqu’à sa retraite en 1989.

Il écrivit plusieurs romans et essais 1 concernant notamment l’économie distributive, préconisée en 1932 par Jacques Duboin. En 1980, il publia un ouvrage sur la romancière Alice Rivaz (fille du socialiste vaudois Paul Golay).

Dans les années 1960, il fut aussi chroniqueur littéraire de plusieurs journaux romands (Coopération, La Vie protestante, La Tribune de Genève). De 1983 à 2003, il assuma le secrétariat des Rencontres poétiques internationales en Suisse romande (fondées et présidées par son épouse Lucette Junod-Pellaton).

«On connaissait l’homme élégant, délicat et parlant un français impeccable ; on sait moins toute la générosité dont il fit preuve dans la plus grande discrétion, en donnant des cours bénévolement à de nombreux migrants» (L’Impartial, 15.7.2015).

Les notices consacrées à Roger-Louis Junod omettent cependant un aspect de ses activités : de 1958 à 1963, son militantisme à la Nouvelle gauche socialiste (NGS), fondée entre autres par d’anciens membres du POP ayant quitté ce parti après le rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline et l’intervention de l’armée soviétique en Hongrie (1956). Mais en 1963, la NGS fut absorbée (grâce au savoir-faire du secrétaire cantonal du PSN, Jules Humbert-­Droz) par le Parti socialiste. Un processus auquel Roger-Louis Junod ne se joignit pas.

Ci-dessous des extraits d’un entretien paru dans la Revue neuchâteloise, nº 6 (mars 1959), où Roger-Louis Junod présenta les conceptions de la NGS.

Hans-Peter Renk 

 

  1. Voir sa bibliographie sur roger-louis-junod.sitew.com

 


 

Questions à propos de la Nouvelle gauche socialiste (Extraits)

 

Roger-Louis Junod (RLJ)  […] Nous ne voulons pas nous contenter de définir et de critiquer. Nous avons un but concret à atteindre.

 

Lequel?

RLJ  La démocratie socialiste – par la voie des réformes de structures.

 

[…] Une semblable prise de position suppose une critique des partis de gauche existants, puisque votre but avoué (la démocratie socialiste) et le leur coïncident dans une assez large mesure.

RLJ  Ni le P.O.P. ni le Parti socialiste ne vont actuellement dans le sens de l’édification de la démocratie socialiste telle que nous la concevons. Le préambule de nos statuts déclare à ce sujet : «Nous avons en vue l’homme concret, engagé dans la vie réelle». C’est là le fondement de nos divergences avec les sociaux-démocrates. Ils respectent abstraitement un homme abstrait. Mais, dans les faits, leur rhétorique aboutit à l’opportunisme. Ils s’installent dans le régime établi, ils en deviennent les administrateurs, ils accèdent à ses privilèges… Nous respectons l’homme d’aujourd’hui. Nous ne croyons pas qu’on puisse le sacrifier à l’homme hypothétique de demain. C’est pourquoi nous sommes en désaccord avec le mouvement communiste. Pour nous, l’humanisme socialiste est absolument incompatible avec l’assassinat politique, la délation, la terreur policière, l’écrasement de révoltes populaires.

 

Votre but déclaré est donc l’avènement d’une Suisse socialiste. Comme il est bon de partir de définitions précises, je vous demanderai quelle est, aux termes de vos statuts, votre propre conception du socialisme ?

RLJ  Le socialisme consiste en une transformation des structures de la société, qui modifie fondamentalement les rapports sociaux et conduise à une libération de l’homme.

 

Fondamentalement… C’est-à-dire?

RLJ  Par la socialisation des moyens de production, puis par la planification, la société doit mettre l’activité économique au service de l’homme et non plus au service de superprofits capitalistes.

 

N’est-ce pas là également le but du socialisme traditionnel et du communisme?

RLJ  Certes, mais il est essentiel de tenir compte des données sociales, économiques et culturelles propres au pays concerné. Chaque pays a sa voie propre au socialisme. D’autre part, on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux, sans eux, et encore moins contre eux ! C’est pourquoi nous attachons une importance extrême au vieux mot d’ordre ouvrier affirmant que la libération des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.

 

On entend dire parfois que le socialisme surgira d’un automatisme historique, déterminé par le progrès technique; qu’il naîtra spontanément dans la paix du travail, grâce à une collaboration bien comprise entre anciens «exploiteurs» et anciens «exploités»…

RLJ  L’expérience a prouvé qu’il s’agit là d’une illusion, et des plus dangereuses. On ne peut pas parler de société socialiste tant que subsistent des classes, des privilèges ; tant que des intérêts privés grèvent l’intérêt général.

 


Articles sur la NGS

 

  • solidaritéS, nº 125 (14.4.2007) : « Vie et mort de la ‹ Nouvelle gauche socialiste › dans le canton de Neuchâtel ».
  • solidaritéS, nº 234 (26.9.2013) : « Chronique (dramatique) d’une liquidation politique (Fleurier, Val-de-Travers) ».
  • Domaine Public, nº 1802 (12.11.2008) : « La Nouvelle gauche socialiste 1958–1963: une page d’histoire neuchâteloise »