Grèce

Grèce : Un référendum surprise

Alors que le peuple grec s’apprête à se rendre aux urnes pour répondre aux propositions de l’UE, notre rédaction s’est entretenue avec Alexis Cukier, philosophe, membre du parti Ensemble (Mouvement pour une alternative de gauche, écologiste et solidaire – Front de gauche) et du collectif Avec les Grecs.

Peux-tu présenter sommairement les principaux éléments de l’accord proposé par l’Union européenne au gouvernement grec?

 

La semaine dernière, après cinq mois d’une entreprise d’asphyxie économique et de chantage politique visant à imposer la poursuite de ses « réformes structurelles » néolibérales, l’Union européenne a fait connaître la version présentée comme définitive de l’accord proposé au gouvernement grec. 

On y trouve notamment de nouvelles coupes dans le budget des retraites (suppression des départs anticipés, augmentation des cotisations salariales, non remplacement du système de pension supplémentaire pour les plus pauvres, report du départ à la retraite à 67 ans), une réforme encore plus inégalitaire du système fiscal, et particulièrement de la TVA et des impôts sur les sociétés, de nouvelles réductions dans les dépenses publiques (notamment l’aide sociale et la santé), la poursuite de la privatisation du secteur de l’électricité, etc. 

Cette proposition, exigée en contrepartie d’un « plan d’aide », contient des réformes qui contredisent non seulement le Programme de Thessalonique mais aussi les « lignes rouges », déjà réduites au minimum, présentées ces dernières semaines par le gouvernement grec suite à de nombreuses concessions dans les négociations. 

 

 

Quelle est la position exacte du gouvernement à l’égard de ces propositions? 

 

Cette proposition constitue une nouvelle étape de la stratégie de la « parenthèse de gauche » visant à faire s’effondrer le gouvernement SYRIZA avant septembre. La question de la réplique la plus adéquate à ces propositions a provoqué un débat intense dans le parti, et jusqu’à vendredi soir, nul ne savait comment l’équipe des négociations et le cabinet Tsipras allait réagir… pas même les dirigeants du parti que j’ai rencontré, qui m’ont dit espérer, mais n’être pas certains, que le gouvernement refuserait cette proposition et que de nouvelles élections seraient organisées. 

Finalement, le gouvernement a décidé d’organiser un référendum portant sur l’accord ou le refus de cette proposition. Dans ses derniers discours, Alexis Tsipras condamne désormais clairement le « télégramme des créanciers » et ne laisse aucun doute concernant la position du gouvernement : il s’agit de s’opposer à cette proposition des institutions européennes.

Quelle évaluation peut-on faire des mobilisations de rue organisées autant par la droite que par la gauche?

 

L’événement marquant a été la manifestation « Nous restons dans l’Europe » organisée par la droite avec le soutien de Nouvelle Démocratie, du Pasok et de To Potami, mais aussi de repré­sentant·e·s des institutions européennes ainsi que des banques et grandes entreprises : comme nous l’avons appris, des courriels et affiches y invitaient explicitement les sa­larié·e·s à participer à cette manifestation… Cette semaine, l’initiative de rue revient à Syriza et au « mouvement des places », et donc à la campagne du non. Ce facteur des mobilisations populaires sera décisif. 

Mais il est rien moins certain que cela suffise à contrebalancer la propagande médiatique en cours, qui mettait déjà en scène ce week-end, par exemple, les queues devant les distributeurs d’argent avant que le gouvernement ne mette en place, aujourd’hui, un contrôle des capitaux et une fermeture provisoire des banques.

 

 

Quelles sont les attitudes respectives de la Plateforme de gauche au sein de Syriza, du parti communiste (KKE) et d’Antarsya dans ce contexte?

 

La Plateforme de gauche, et plus largement l’aile gauche de Syriza, a manifestement joué un rôle décisif dans le fait que le gouvernement n’a pas capitulé et a refusé les propositions des créanciers. Et son leader Panagiotis Lafazanis, le ministre de la production, de l’environnement et de l’énergie, s’est mis dans les médias en front de la campagne pour le « non ». Le KKE continue de tenir une ligne sectaire : refus systématique de tout soutien à Syriza, vote contre la proposition de référendum, consigne de s’abstenir dimanche prochain. Antarsya, au-delà des questions un peu abstraites concernant la nécessité d’une opposition de gauche ou d’un soutien critique à Syriza, s’est clairement investi dans la campagne pour le non.

 

 

Comment estimer les chances que le non l’emporte dimanche prochain

 

Cette nouvelle du référendum a constitué une bonne surprise, tant les choses paraissent évoluer dans le sens du recul politique ces dernières semaines, mais elle constitue également l’aveu d’une faiblesse politique de Syriza : il n’y a pas de scénarii économique et politique explicites en cas de rupture avec les institutions européennes. Et organiser un référendum au moment même où il devient absolument nécessaire de prendre des mesures impopulaires – faute de les avoir préparées et expliquées ces derniers mois –  telles que le contrôle des capitaux, constitue un risque énorme. 

Comme on pouvait s’y attendre, les partisan·ne·s du oui misent sur une propagande de la peur relayée par la presse bourgeoise, et les partisan·ne·s du non sur une réaction de fierté nationale. Malheureusement, dans ce contexte, la question d’une politique économique socialiste, ou du moins alternative au néolibéralisme, n’est pas centrale.  

Cela étant dit, la priorité pour moi est de participer à la campagne grecque et européenne en faveur du non. Malgré la complexité de la situation, les choses dimanche prochain seront assez simples : ou bien une défaite majeure dont on voit mal comment Syriza pourrait se relever et qui préfigurera un nouveau gouvernement réactionnaire d’union nationale ou bien le prolongement d’une possibilité – insatisfaisante, incertaine mais bien réelle – pour la gauche radicale grecque de transformer la société en direction de la justice sociale et de l’émancipation. 

 

Propos recueillis par notre rédaction