Turquie

Turquie : Erdogan boit la tasse

Une délégation de solidaritéS s’est rendue au Kurdistan à l’occasion des dernières élections. Voici une première réaction à chaud. Nous reviendrons sur les élections turques dans le prochain numéro.

La Turquie a sans doute vécu une des heures les plus importantes et déterminantes de son histoire. Une délégation de solidaritéS a été invitée par le HDP (Parti démocratique des peuples) en tant qu’observatrice indépendante au Kurdistan du Nord. Nous avons visité plusieurs villages de la région où les élections se déroulaient, parlé avec les ha­bi­tant·e·s et avons été témoin du grand succès électoral de ce parti. Avec ses 13,1 %, cette formation, soutenue par la grande majorité du peuple kurde et des forces de la gauche dans tout le pays, a marqué ces élections 

Il est évident que la question kurde constitue la question politique fondamentale pour la Turquie. Ce succès aura un effet historique sur l’avenir du processus de paix dans un avenir proche. Et le processus de paix s’avère d’autant plus nécessaire que, premièrement, le peuple kurde ne veut plus d’une guerre trentenaire et qui a causé 50 000 morts. La victoire électorale du HDP le weekend dernier l’a montré de manière éclatante. En second lieu, la guerre a eu comme premier impact la montée du nationalisme turc, égrenant dans les discours publics la liste de ses victimes, et du racisme envers le peuple kurde. Dans ce contexte, toutes les luttes menées, celles des femmes contre les violences, des travailleurs et travailleuses contre le néolibéralisme, des jeunes contre le chômage et des forces démocratiques contre la répression, se sont affaiblies à mesure que la guerre se poursuivait.

Si, pour notre plus grande joie, le grand gagnant de ces élections est l’HDP, l’AKP, le parti au pouvoir depuis plus de 12 ans, est le grand perdant. En effet, il ne pourra plus gouverner seul. Ce parti de centre droite néolibéral, issu de la mouvance islamiste, est devenu de plus en plus autoritaire à l’image de son chef Erdogan, élu depuis peu président. Erdogan entendait changer le système présidentiel en rassemblant tout le pouvoir dans ses mains.

Les élections que la Turquie vient de vivre ont pour le moment mis un frein résolu au rêve d’Erdogan. Certains prévoient même que cette première défaite électorale du parti islamo-­conservateur soit le début de la fin pour le pouvoir du président. Beaucoup d’observateurs le soulignent avec justesse : le soutien de la population au gouvernement allait de pair avec une situation économique favorable. Or, depuis quelque temps, la situation économique est de moins en moins satisfaisante. Les effets de la crise économique se font déjà sentir dans la vie quotidienne de millions de personnes. Le chômage augmente et avec lui, les manifestations d’une colère sociale qui s’est exprimée au cours de ces dernières semaines dans les grèves massives de l’industrie automobile, dans les régions les plus industrialisées du pays. Dans les villes kurdes, la victoire électorale a été fêtée par une population nombreuse et en liesse. Avec ces élections, le mouvement de libération kurde s’est indiscutablement renforcé et avec lui, les forces combatives menant sans relâche la lutte pour une Turquie plus démocratique. 

 

Gazi Sahin