11 fois le 11 septembre

11 fois le 11 septembre


J’ai dû me rendre dans la salle d’une petite commune proche de Lausanne pour voir ce film. Pas un multiplex, pas un cinéma du centre n’a programmé 11’09”01 – September 11. Le sujet est certes d’actualité mais le ton, discordant face au chœur monotone formé par la plupart des médias, n’a pas permis au film d’être un «événement» cinématographique.



Alain Brigand, le producteur, déclare avoir eu l’idée de faire réaliser un film à épisodes sur les attentats, le 12 septembre déjà. L’idée de base est simple: offrir à 11 cinéastes de 11 pays différents, l’opportunité de tourner un court métrage de 11 minutes1 en lien avec les événements du 11 septembre. Aucune autre consigne: les artistes étaient complètement libres quant à l’écriture du scénario et à la réalisation. Chacun, chacune ne sachant rien des autres sujets.



Les épisodes sont très divers, presque disparates, et mettent en relief des sensibilités et des engagements bien distincts. Tous ne sont pas des réussites, et à côté de petites merveilles (la palme va à Ken Loach) on trouve des ratages monumentaux (le bonnet d’âne est pour Youssef Chahine).

Regard des réfugiés afghans


Le très beau film de l’iranienne Samira Makhmalbaf ouvre la série. Ici, l’évènement est vu du côté des réfugiés afghans en Iran. Alors que les enfants s’activent pour cuire au soleil des briques de boue afin de construire des refuges contre «les bombes atomiques» américaines, une maîtresse d’école essaye de leur expliquer l’évènement. Difficile de comprendre quand on a 6 ans, qu’on n’a jamais vu une tour et qu’on ne possède pas de télé. Pour elles et eux, la tragédie du jour est beaucoup plus tangible: deux adultes sont tombés dans un puit et l’un d’eux est mort. Comment s’étonner que dans ces conditions les écoliers n’arrivent pas à respecter la minute de silence en honneur des victimes que la maîtresse tente de leur imposer. Un épisode très beau et délicat qui ouvre une réflexion sur l’approche qu’on a pu avoir de cet événement selon qu’on appartient à la société de communication mondialisée ou à ses marges.



Ensuite, le film rentre dans une série pénible, il faut en effet subir, l’un à la suite de l’autre: l’insignifiant épisode du Français Claude Lelouch, celui quasi ridicule de l’Egyptien Chahine. Lelouch étant complètement incapable de sortir d’un intimisme verrouillé et Chahine se mettant à faire des leçons de morale aux fantômes.



Pas complètement abouti non plus, le film du réalisateur bosniaque Danis Tanovic, qui voit l’événement au travers de femmes qui manifestent chaque mardi en mémoire des disparus de l’«épuration ethnique». Faut-il manifester également le 11 septembre 2001 ou cette nouvelle tragédie prend-elle la priorité sur toutes les autres?

La capture de Ben Laden


Drôles, décapantes et intelligentes, les 11 minutes de Idrissa Ouedraogo (Burkina Faso): des enfants africains découvrent que Ben Laden se trouve dans leur ville. Ils décident de le capturer afin de toucher la rançon de 25 millions de $ («combien ça fait en francs CFA ? … incalculable!») ce qui permettrait, entre autres, à l’un d’eux d’acheter des médicaments pour sa mère malade et des cahiers et des crayons pour l’école. Mais le chef d’Al-Qaida s’envolera, les laissant à leur misère.



Ken Loach, quant à lui, met côte à côte deux 11 septembre, deux mardis: 2001 et 1973. Il filme un réfugié chilien à Londres qui écrit aux familles des victimes. Si sa lettre exprime de la compassion, elle montre la dissonance des déclarations délirantes de Bush lorsqu’elles sont confrontées aux responsabilités directes des USA dans le coup d’état de Pinochet et aux horreur qui l’ont accompagné. Après cette petite merveille d’engagement et de sensibilité, il faut subir les interminables 11 minutes proposées par le mexicain Alejandro Gonzáles Iñárritu. Pourtant l’auteur d’Amores perros avait montré des capacités de direction bien meilleures. Autre ratage, celui d’Amos Gitaï: l’israélien nous propose un sujet sur une journaliste dont le reportage sur un attentat suicide va être éliminé de la une à cause des événements de New York. Dans ce film tourné caméra à l’épaule (qui simule la vision subjective du cameraman de l’équipe de TV), les personnages entrent et sortent de scène comme des marionnettes, pour s’affoler un moment devant l’objectif. Le résultat est un «film vérité» qui sent le carton pâte. L’Indienne Mira Nair raconte l’histoire vraie d’un New-Yorkais pakistanais mort dans l’attentat. Soupçonné initialement d’être un des terroristes, il sera ensuite consacré héros de la nation américaine.



Un des plus beaux courts métrages nous vient de l’américain Sean Penn: il s’agit de l’histoire d’un vieux veuf qui vit replié sur ses souvenirs dans son appartement de Manhattan jusqu’au moment où l’écroulement des tours permet enfin au soleil d’entrer dans sa demeure. Une allégorie sensible qui invite à valoriser la réflexion et la remise en question au-delà de la vengeance. Le film se conclut sur l’appel pacifiste du japonais Shohei Imamura: l’histoire d’un soldat nippon que la guerre «sainte» a transformé en serpent.



Un ensemble hétéroclite qui a donc les qualités de ses défaut mais qui permet d’aborder cet événement au travers d’angles de vue inhabituels et parfois surprenants. n



Gianni HAVER

  1. Et plus précisément 11 minutes, 9 secondes plus un photogramme: 11’09”01