Pour une gestion publique des ressources naturelles

Le troisième contre-forum sur les matières premières, organisé samedi 18 avril par le Collectif contre la spéculation sur les matières premières, a été un succès. Au programme: deux plénières, cinq ateliers de discussions approfondies, 200 participant.e.s et des échanges très riches. Pour couronner le tout, Saraka est venu faire danser tous les participant.e.s avec un concert aux airs sud-américains.

Le paradis

 

La première plénière a eu pour titre La Suisse: paradis des multinationales. Nous avons eu l’occasion d’écouter Sébastien Guex, membre de solidaritéS et professeur d’histoire à l’Unil, ainsi qu’Olivier Longchamp de la Déclaration de Berne.

Pour Sébastien Guex, les sociétés traditionnelles – Volkart Brothers, André, Basler Handels-gesellschaft – ont, dès la seconde moitié du 19e siècle, permis à la Suisse de devenir une puissance coloniale au même titre que l’Italie, la Hollande ou la Belgique. Cinq facteurs expliquent comment le capitalisme suisse a pu réussir à occuper une place de premier plan dans le trading mondial sans s’appuyer sur une puissante armée nationale, une ville portuaire ou un territoire colonial :

1 la « neutralité » politique de la Suisse; 2 la puissance de la place financière et de la monnaie suisse; 3 la fiscalité très avantageuse et la complaisance des autorités suisses; 4 l’exceptionnelle stabilité politique et l’engluement gouvernemental du PS; 5 la qualité et la discipline de la main d’œuvre en Suisse.

La sous-enchère fiscale menée en Suisse, uniquement sur l’imposition des entreprises, provoque des pertes de recettes fiscales dans les pays d’origine estimées entre 30 et 36 milliards de francs par année. Ce qui constitue un gigantesque vol aux dépens des populations du monde entier, notamment de celles qui vivent dans les pays riches en ressources naturelles. Ce chiffre est à comparer aux 2 milliards investis dans l’« aide au développement ».

Olivier Longchamp, de son côté, nous a présenté le négoce de matières premières contemporain. Du fait que la Suisse a entretenu des liens économiques étroits avec l’URSS et a servi de passerelle commerciale entre l’Est et l’Ouest, elle a eu un rôle majeur lors de son effondrement. Les années 1990 marquent une explosion des flux financiers de l’ex-URSS vers le territoire helvétique ainsi que la création de nombres de sociétés par des oligarques russes; la multinationale Gunvor et son fondateur Gennady Timchenko n’en est qu’un exemple. Olivier Longchamp a aussi souligné que l’organisation stratégique du secteur n’est que très récente, comparée à celle des banques par exemple: la constitution de la Swiss Trading and Shipping Association (2014), la nouvelle organisation faîtière suisse dans le secteur du négoce, issue de l’ex–Geneva Trading and Shipping Association (2006).

A la question des mesures concrètes qu’il faudrait envisager pour lutter contre l’état actuel du secteur, trois pistes ont été évoquées : exiger la levée du secret bancaire, réclamer des mesures d’informations concrètes sur le secteur et interdire au moins la spéculation pure (sur les produits dérivés) sur les matières premières. Enfin, il s’agirait à long terme de considérer les ressources naturelles comme un bien commun, donc de placer leur extraction, production et gestion sous contrôle public. 

 

 

L’enfer

 

La plénière du soir s’est concentrée sur les dégâts sociaux et environnementaux liés au pillage des matières premières.

Juliana Benicio, avocate de la coordination internationale des victimes de Vale et du syndicat Metabase Inconfidentes au Brésil, nous a parlé des problèmes respiratoires et de peau causés par la poussière de minerai de fer qui stagne dans l’air dans certaines régions. Elle nous a parlé des milliers de tra-vail-leurs·euses qui sont surexploités et ensuite licenciés pour questions de santé. Elle a abordé la question des dirigeants syndicaux qui se font emprisonner, des atteintes aux droits fondamentaux perpétrées par des multinationales comme Vale et du soutien qu’elles obtiennent des autorités. Enfin, elle a dénoncé les mesures fantoches qu’a prises Vale pour répondre à ces problèmes : n’engager qu’un seul médecin pour traiter des centaines de malades par exemple.

Quant à Edi Carlos da Silva du Mouvement des Sans Terre au Brésil, il nous a surtout expliqué la situation concernant l’accaparement des terres par les entreprises qui exploitent l’eucalyptus à une échelle industrielle pour produire du papier. Les problèmes sont vastes : pollution de l’eau, assèchement des nappes phréatiques, déplacements forcés des populations, pollution des sols, droits sociaux des tra-vail-leurs·euses constamment bafoués, licenciements abusifs, etc. Les mouvements sociaux luttent pour obtenir des espaces qu’on attribue à la famille où elle pourra rester toute sa vie, incarné par le document de l’assentamento.

Nicolas Haeringer de l’organisation 350.org
nous a astucieusement démontré en quoi la question climatique n’est plus une question mais un véritable problème qui fait actuellement courir le monde droit dans le mur. Ce problème se résume en 4 chiffres : 2, en °C : objectif « réaliste », néanmoins dramatique, admis internationalement du réchauffement climatique mondial; 565, en gigatonnes de CO2 : le « budget–carbone » dont la planète dispose si elle veut rester en dessous de la limite des 2 °C; 3000, aussi en gigatonnes de CO2: les « dépenses-carbone » potentielles que représentent les gisements actuellement exploités ou en phase de l’être; 9, en °C : le réchauffement moyen de la planète si ces « dépenses–carbone » sont toutes utilisées. Autrement dit, pour éviter un désastre inconcevable, il faut laisser 80 % des gisements de combustible fossile sous terre. 

 

Thomas Feron