Pour des têtes éveillés dans les écoles valaisannes

La récolte de signatures pour l’initiative cantonale « pour des élèves têtes nues dans les écoles valaisannes » a officiellement commencé. L’intitulé est sobre, mais la volonté et les objectifs des ini-tiant·e·s sont clairs : l’UDC-VS ne veut pas de filles voilées dans les écoles publiques. 

Jean-Luc Addor, député UDC, membre du Mouvement suisse contre l’islamisation et coprésident du comité d’initiative ne s’en cache pas : «Il faut être très clair. Même si formellement, nous avons été obligés d’adopter cette formulation pour éviter tout risque de discrimination, nous visons les musulmans.» (« L’UDC valaisanne veut interdire le voile à l’école », Interview de Jean-Luc Addor, 24  heures, 24.04.2015).

Le combat contre l’islam, prétendument incompatible avec la société Suisse, se mène maintenant sur le terrain de l’école obligatoire. On se sentirait presque résigné face à la répétition du scénario, d’autant plus que cela semble être un « faux » problème, le nombre d’écolières voilées étant infime. Il ne faut pourtant pas négliger l’impact réel de cette initiative.

Le projet fait immanquablement penser à la loi française de 2004, interdisant les signes religieux ostentatoires à l’école. Si cette dernière se base sur une conception réductrice de la laïcité, le discours de l’UDC valaisan, lui, s’articule explicitement sur une argumentation islamophobe. En imposant des règles spécifiques aux jeunes musulmanes sous peine d’exclusion, le parti entend défendre les « valeurs chrétiennes » propres au Valais, face à «une religion politique qui veut remplacer nos lois par la charia» (24 heures, 24.04.2015). Il n’est jamais question de laïcité.

L’UDC-VS entend au contraire défendre la présence de l’Eglise dans les écoles, ce qu’il rappelle dans sa campagne actuelle contre une autre initiative cantonale, « pour un Etat laïc ». Le parti défend donc clairement une inégalité religieuse au sein des institutions scolaires, où ce qui est permis aux en­seignant·e·s serait interdit à une partie des élèves musulmanes.

 

 

Pour « la dignité de la femme », vraiment ?!

 

Le parti agrarien développe une autre ligne d’argumentation, fondée sur ce qu’il appelle «la dignité de la femme» (24 heures, 24.04.2015). Le voile est ainsi considéré comme un instrument de domination masculine. A travers cet argument, l’UDC-VS cherche à faire oublier le caractère islamophobe de l’initiative, en s’adressant à «une partie de la gauche où le voile choque les féministes» (24 heures, 24.04.2015). Mais en fait, il se contente d’essentialiser les mu­sul­man·e·s : les hommes sont sexistes, les femmes soumises. Cette stratégie a tout de même déjà fait ses preuves lors de la votation contre les minarets. Au-delà du fait que l’UDC n’a aucune crédibilité dans la question de l’égalité hommes-femmes, vu son opposition systématique aux mesures garantissant une égalité de fait, l’idée selon laquelle son initiative constitue une mesure pour les droits et les libertés des femmes est mensongère. Chercher à faire disparaître le voile de l’école n’apporterait aucune solution viable aux comportements discriminatoires ou violents à l’égard des femmes, pouvant survenir hors ou dans le milieu scolaire. 

Porter le voile a des significations et des motivations différentes, et ne peut de loin pas se réduire à une injonction masculine. Il s’agit d’une pratique religieuse, dont le sens échappe peut-être à cer­tain·e·s, mais dont il faut accepter la complexité. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas dénier aux jeunes filles leur capacité à faire des choix. Il est certain que parfois l’idée de porter un voile découle d’une décision familiale. Mais la législation suisse est claire : ce sont les parents qui ont autorité dans le domaine de l’éducation religieuse. 

 

 

Une initiative aux effets dévastateurs

 

Si l’on considère que la question des droits, de la liberté et de la sécurité des femmes est un enjeu central de notre société, une mesure de ce type va totalement à l’encontre de ces objectifs. En France, la loi de 2004 a eu un effet dévastateur sur les femmes voilées.

Les témoignages recueillis dans le livre de Chouder Ismahane, Latrèche Malika et Pierre Tevanian Les filles voilées parlent (Paris, La fabrique, 2008) montrent l’effet de la mesure sur le parcours scolaires de celles-ci. Même lorsqu’elles obéissent à la nouvelle loi, elles sont constamment surveillées, soupçonnées et humiliées en raison de leurs croyances. Pire, depuis l’adoption de cette loi, le nombre de femmes agressées en raison de leur voile a explosé (« Islamophobie en France : les agressions de femmes voilées en hausse », Huffington Post, 23.11.2013) 

Il est inacceptable de faire subir ça à des filles dans notre pays. La stigmatisation et l’exclusion n’ont jamais libéré personne ! Il n’y a qu’à travers l’éducation que les personnes peuvent devenir aptes à prendre leurs propres décisions dans la vie. Et pour cela, il est primordial que l’école reste un lieu d’apprentissage, d’autonomisation et de questionnement, accessible à tous les enfants.

Même si l’initiative n’aboutit pas, remettre en question de façon incessante la légitimité de la communauté musulmane de Suisse, ainsi que sa liberté de conviction, a des effets stigmatisants durables sur les jeunes femmes musulmanes, voilées ou non. De plus, l’UDC-VS trouble la paix sociale, en s’attaquant aux principes de base de l’école obligatoire, lieu central du vivre ensemble. C’est pourquoi le collectif VIVE (Valaisannes contre l’interdiction du port du voile à l’école) s’est formé pour contrer cette initiative. Son but est d’organiser une contre-campagne afin de défendre l’école pour tous et plus particulièrement pour tou·te·s. 

 

Marlene Carvalhosa Barbosa

 

 

Prochaine réunion du Collectif : jeudi 23 avril, 19 h, petite salle de réunion du café-bar du Casino à Martigny, 17 av. de la Gare

Contact : collectif-vive@gmail.com