Italie, vers la grève générale. Entretien avec Felice Mometti

Italie, vers la grève générale. Entretien avec Felice Mometti


Au lendemain de la manifestation, le 14 septembre à Rome, des «rondes» (girotondi) de l’opposition sociale à la politique du gouvernement Berlusconi, nous avons demandé une première évaluation de la situation sociale et politique italienne à notre camarade et correspondant de Brescia, Felice Mometti, membre de la coordination nationale des Forums sociaux italiens, de la direction nationale des COBAS-Scuola (syndicalisme de base dans les écoles), ainsi que de Rifondazione comunista. Rappelons que la traduction française de son intervention lors de notre dernier «Forum socialiste» des 15-16 juin, est disponible sur notre site.



Cette mise en perspective devait aussi servir à apprécier la dynamique de mobilisation en cours autour de la grève générale convoquée pour le 18 octobre. Depuis notre interview, une autre manif, convoquée par Rifondazione, à réuni plus de 100 000 personnes contre la guerre à Rome, samedi 28 septembre. La suivante est convoquée pour le 5 octobre. Décidément, notre calendrier rédactionnel ne peut rendre compte que partiellement de la dynamique sociale à l’œuvre, dont la richesse ne cesse – heureusement – de surprendre. C’est en particulier vrai concernant la conjoncture politique que traverse l’Italie depuis l’arrivée au pouvoir du cavaliere, dit sua Emittenza, pour une deuxième période d’obscurantisme ultra-libéral. (ms)

Quelle évaluation fais-tu de la dernière manifestation contre Berlusconi?


F.M. C’est l’expression d’une contestation démocratique face à une série de lois et décrets du gouvernement italien dont l’objectif est de protéger Berlusconi (ainsi que quelques dizaines de parlementaires de sa coalition de «centre-droit») des procès en cours et d’augmenter le contrôle sur la RAI, la TV publique. Le phénomène des «rondes» (girotondi) a néanmoins pris l’allure d’une contestation de l’«opposition» du centre-gauche, considérée comme peu conséquente. A l’intérieur des girotondi cohabitent des secteurs qui cherchent uniquement à exercer une pression politique sur le centre-gauche, d’autres qui souhaitent un changement dans le leadership de l’opposition, ou d’autres encore qui commencent à lier la contestation démocratique à la dénonciation de la «guerre préventive» contre l’Iraq, comme cela est apparu pendant la manif du 14 septembre. Sur ce terrain se sont ouverts des échanges et débats avec le mouvement anti-libéral italien pour élargir la mobilisation contre les politiques de guerre permanente.

Est-ce qu’il s’est passé quelque chose de significatif depuis la dernière grève générale?


Après la grève générale du 16 avril, le gouvernement Berlusconi a développé une campagne massive contre la CGIL et le mouvement anti-libéralisation (no-global). Il est parvenu à casser le front des grands syndicats confédéraux: la CISL et l’UIL (deux autres confédérations syndicales) ont signé en juillet, le «Pacte pour l’Italie». Un pacte néo-corporatiste impliquant ces syndicats dans la cogestion du marché du travail et des «amortisseurs sociaux» (notamment indexation). A l’égard du mouvement, ils ont poursuivi sur la voie de la criminalisation. Il faut dire cependant que ces tentatives n’ont pas abouti. La CGIL n’a pas été isolée et conserve une forte implantation sur les lieux de travail, et le 20 juillet à Gênes, le mouvement a réussi à mobiliser 150000 manifestant-e-s, un an après l’assassinat de Carlo Giuliani. Il est par ailleurs toujours à pied d’œuvre avec de multiples initiatives pour construire une opposition sociale à la guerre. Le 5 octobre, il y aura des manifs dans 100 villes d’Italie, sur les places, devant des bases militaires, à l’ambassade des USA et devant les consulats européens. Pour arriver au 9 novembre, pendant le Forum Social Européen, à une grande manifestation internationale à Florence contre la guerre politique, économique et militaire fonctionnelle au processus de globalisation capitaliste.

Comment se déroule la préparation de la prochaine grève générale convoquée par la CGIL et quelle est la position du mouvement à cet égard?


La grève générale convoquée le 18 octobre par la CGIL et par le syndicalisme de base, représente une étape ultérieure dans la lutte contre la précarité sociale et pour l’extension des droits des travailleuses-eurs. La CGIL a lancé une campagne pour récolter 5 millions de signatures pour la défense des droits sociaux. Le mouvement est en train de se mobiliser pour soutenir et généraliser la grève. La généralisation de la grève par des actions de désobéissance à la loi raciste sur l’immigration, pour défendre l’environnement et le territoire contre les «grands ouvrages» destructeurs prévus par le gouvernement Berlusconi, pour défendre l’école publique, etc., ce sont des façons d’assurer la jonction, sur des initiatives concrètes, entre le «vieux» mouvement ouvrier et les «nouveaux» sujets sociaux qui animent le mouvement no global italien. Naturellement, des conceptions différentes subsistent entre le mouvement et la CGIL, pour ne pas parler de l’Olivier (coalition de centre-gauche), sur la concertation sur les lieux de travail, sur la bataille au sein des institutions, sur le rôle de l’ONU et des organisations internationales (OMC, FMI, Banque mondiale, Banque européenne, etc.). Il y a toutefois une conviction, assez diffuse, au sein du mouvement, au sein du syndicalisme de base et parmi les secteurs de gauche de la CGIL, à propos de la nécessité de trouver des convergences sur des thèmes particuliers, sur des plates-formes spécifiques, pour poursuivre la lutte contre le gouvernement et les associations patronales.

L’approfondissement de la politique, ultra-libérale et patrimoniale de Berlusconi, ne semble pas connaître de limites… Mais, que fait la «gauche»?


Berlusconi et son gouvernement traversent actuellement une phase difficile, même si l’on ne peut pas encore parler de crise. Les promesses formulées au lendemain des élections n’ont pas été tenues. Les impôts n’ont pas diminué, les salaires ont perdu de leur pouvoir d’achat, les financements de l’école et de la santé publiques ont été réduits… Les discours populistes de Berlusconi ont moins d’emprise. La crise économique, qui réduit les marges de manœuvre, et la contestation croissante des politiques économiques et sociales néolibérales, constituent deux facteurs, qui en se combinant, peuvent gêner sérieusement l’action du gouvernement. Dans pareilles circonstances il faudrait une gauche différente. C’est bien ce que des secteurs significatifs du mouvement, avec Rifondazione comunista, une partie du syndicalisme de base et de la CGIL, dans les luttes et les expériences concrètes de cette dernière année ont cherché et cherchent à construire.



Propos recueillis par Marco SPAGNOLI