Allemagne: feu vert au libéralisme soft

Allemagne: feu vert au libéralisme soft


De l’extérieur la victoire électorale récente, à une très courte majorité, du gouvernement rose-vert pourrait être prise pour un succès de gauche. D’un point de vue allemand, en particulier de celui d’un opposant de gauche, la chose paraît plus contradictoire.



Par Christoph JÜNKE*



 



Certes, la social-démocratie et ses alliés verts, le chancelier Schröder et son vice-chancelier Joschka Fischer, peuvent se prévaloir d’un soutien à leur gouvernement de centre-gauche. Depuis 1998, c’est la seconde fois que le conservatisme libéral est battu en faveur du social-libéralisme de «gauche». Mais aussi et principalement c’est un vote majoritaire contre une participation allemande à la guerre contre l’Irak.

Non à la Busherie!


Volonté des électeurs-trices et politique réelle ça fait deux. Le Sonderweg allemand contre la guerre en Irak est une rupture avec la tradition d’amitié inconditionnelle USA – Allemagne. Pourtant, la durée de cette rupture est une question posée et pas qu’à gauche. Schröder et son gouvernement rose-vert ont, durant la campagne, exclu toute participation à cette guerre, y compris sur mandat de l’ONU. Ils ont ainsi réussi à polariser une campagne languissante et à mobiliser – assez pour faire la différence – leur clientèle passive jusque là.



Une forte majorité d’Allemand-e-s s’oppose à la guerre contre l’Irak. Pourtant, le scepticisme est très répandu quant à savoir si Schröder et le SPD veulent vraiment et peuvent politiquement tenir une position anti-guerre conséquente. Ainsi, cette mobilisation a plutôt joué en faveur de leurs alliés verts qui se voient prêter de plus nobles motifs en la matière.



L’ancien-nouveau gouvernement a durci sa position de fond, après les élections encore. Un bon point de départ pour le mouvement anti-guerre allemand. En effet, la pression politique sur les «roses-verts» pour qu’ils donnent des signes de marche arrière a augmenté nettement après les élections…

Néolibéralisme de consensus


Mais, plus encore que sur la question de la guerre, c’est sur le deuxième grand thème de la campagne – la politique sociale et économique – que les faux espoirs sont déplacés. Depuis l’éviction du pouvoir d’Oskar Lafontaine, début 1999, la social-démocratie et ses alliés verts défendent un néolibéralisme, soft sur la forme mais dur quant au fond, en matière de restrictions budgétaires, d’économies forcées et de rejet de toute vélléité keynésienne de relance par la demande. Le seul aspect «gauche» de cette politique est sa visée d’intégration des syndicats par une politique sociale consensuelle d’amortissement des effets d’une politique économique structurée par le néolibéralisme le plus dur.



Le fort désenchantement envers cette politique, suivie sans faille dès 1999, a poussé les bastions ouvriers du SPD vers l’apathie, l’abstention électorale, voire le vote CDU/CSU. Le SPD a connu des pertes au-dessus de la moyenne chez les ouvriers-ères, chômeurs-euses et employé-e-s, surtout dans les milieux syndiqués. Le candidat à la chancellerie Stoiber et la CDU/CSU ont quant à eux distillé une propagande aux accents de gauche en matière de politique sociale, brodant avec un certain succès face au SPD sur le thème de la crise économique et du chômage massif. Or, c’est la question sociale, vécue au quotidien qui fait bouger la majorité des gens. Que cela n’ait pas suffi à faire tomber le gouvernement ne découle pas de la seule conjoncture en matière de guerre, mais aussi du scepticisme face à l’idée que les recettes des conservateurs seraient une vraie alternative. De plus, la plupart des gens savent que l’emprise des politiques sur les développements macroéconomiques n’est que très relative.

Flexibilisation à fond…


Si tant est que ce résultat électoral puisse être vu comme un appel à un cours de centre-gauche, ce mandat est faible et exprimé de manière diffuse, du fait de l’hégémonie néolibérale depuis 1998/99 sur le débat politique public. Avec son concept de réforme du marché du travail, mis en avant au cours de la campagne, la coalition rouge-verte se place franchement sur le terrain néolibéral. Ce n’est pas l’économie capitaliste qu’on rend responsable de la crise, mais les «chômeurs fainéants» et autres «parasites sociaux», qui – par la contrainte – doivent être poussés à une mobilité et à une privation de besoins totales! Le débat allemand a aussi été très différent de l’autrichien ou du tchèque, quant à l’opportunité de combattre les effets des inondations dans l’Est du pays par des crédits ou impôts spéciaux (voire des coupes dans les dépenses militaires) ce qui aurait contredit des tabous toujours aussi largement acceptés. Il est peu problable que les demandes de hausses d’impôts émergeant après ces élections, face aux nouveaux déficits budgétaires, marquent un tournant à ce sujet.



Les projets du nouveau gouvernement quant à eux parlent clair: le marché du travail doit être déréglementé à fond, la politique de santé privatisée, l’éducation centralisée et soumise aux impératifs économiques.



Il faut compter avec une pression accrue pour la privatisation du secteur public. Une opposition digne de ce nom, remettant en cause sur le fond cette logique néolibérale n’existe pas. La gauche allemande, à la gauche des roses-verts, est très fragmentée et sans perspectives.

Vers un renouveau de l’opposition?


Le signe, visible de loin, de cet échec politique est la défaite, surprenante sous cette forme, du PDS, qui stagne à l’Ouest et s’effondre de manière si dramatique à l’Est, qu’il n’est plus représenté au parlement. La moitié de ses voix perdues va au SPD, l’autre aux abstentionnistes. Rejeté sur ses postes dans les parlements régionaux à l’Est, le PDS vieilli se trouve confronté à un choix d’avenir. La contradiction vécue, au quotidien entre un parti régional intégré à l’appareil d’Etat bourgeois, spécifiquement est-allemand, et par là représentatif d’intérêts particuliers, et un parti qui se conçoit – éthiquement et politiquement – comme porteur d’une alternative socialiste est poussée maintenant vers une décision.



Ainsi, les élections au Bundestag ont-elles eu un résultat contradictoire. Le centre-gauche et les conservateurs sont renforcés, le FDP néolibéral et la gauche de la gauche se sont effondrés. Il est peu problable que les syndicats, dans ce contexte et par leur large adhésion au corporatisme social-démocrate, puissent jouer plus qu’avant le rôle de noyau de cristallisation d’une opposition de gauche. Mais, d’un autre côté, avec la fermeture du poumon gauche au sein du système parlementaire, se présente une situation qui peut offrir des perspectives de renouveau d’une opposition extraparlementaire de gauche.



* Christoph Jünke est responsable de la rédaction du «SoZ – Socialistische Zeitung» www.soz-plus.de