Question à Tariq Ali

Question à Tariq Ali*


Razmig Keucheyan: Quels sont les défis imposés par les événements du 11 septembre et leurs suites au mouvement contre la mondialisation?


Tariq Ali: Nous ne devons être contraints à la passivité ni par les groupes religieux intégristes, ni par l’empire américain et ses apologistes. En Grande-Bretagne, plus de 350000 personnes viennent de manifester contre la guerre en Irak. La mobilisation est plus forte et plus large que toutes celles que nous avions organisées contre la guerre du Vietnam dans les années 60 et 70. La Coalition contre la guerre – un front incluant des partisans du socialisme de toutes espèces, des libéraux, des radicaux, des pacifistes et des groupes musulmans modérés – espérait la venue de 200000 personnes.



Mais en Grande Bretagne un malaise grandissant s’exprime dans la population depuis quelques temps, et beaucoup de gens – y compris des conservateurs et des personnes apolitiques – avaient décidé de rallier la marche. La semaine avant la manif le New Labour a publié le soi-disant «dossier» de Blair, un panachage de demi-vérités et de faits connus de longue date, tentative de propagande belliciste fort grossière qui a eu un effet boomerang contre son auteur. Le Daily Mirror l’un des principaux titres de la presse populaire a par exemple consacré huit pages à dénoncer Blair et son dossier. Ce quotidien a nettement viré de bord après le 11 septembre, en contraste marqué avec ses concurrents dits de «qualité». Le seul papier pro-guerre dans ce journal, hallucinant à tous les niveaux et publié pour donner la parole à la Maison Blanche, est paru sous la signature de l’ex-commentateur du Nation, Christopher Hitchens. Un homme tombé bien bas, qui tombera encore…



Pas de guerre en Irak! Justice pour la Palestine! Tels ont été les thèmes qui ont uni tous les présents ce samedi 28 septembre. La chaîne de Murdoch SkyTV a annonçé 400000 manifestant-e-s, la radio irlandaise insistait qu’ils étaient un demi-million. Seule BBC TV a relayé le chiffre «officiel» de la police soit 150000 manifestant-e-s «seulement». Soyons modestes admettons que nous étions plus de 350000 personnes venues de tout le pays pour montrer leur mépris de Tony Blair et de son appui à la guerre de Bush. J’ai rencontré des gens, jeunes et vieux, qui n’avaient jamais participé à une manifestation avant celle-ci et pour qui ce fut un véritable «rite de passage». L’humeur était à la colère et à la défiance.



La nouvelle vague de dirigeants syndicaux qui ont été élus pour défier les thatchériens du New Labour se sont solidement opposé à la guerre. Bob Crow le dirigeant dans la quarantaine des cheminots a dénoncé Blair avec des expressions au vitriol, comme l’a fait Mark Serotka du syndicat des services publics et d’autres. Il y a aussi eu Tony Benn, Georges Galloway et Jeremy Corbin (les deux derniers encore membres du parlement) qui ont parlé pour les membres du parti travailliste opposés à Blair. C’était le shabbat, ainsi le contingent de juifs hassidiques présents n’a pas pu parler, mais leur plaidoyer émouvant pour les droits des Palestinien-ne-s a été lu par un jeune musulman de Leicester. Le maire de Londres Ken Livingstone, était aussi là pour dénoncer vigoureusement le Premier ministre. Beaucoup de Londoniens ont d’ailleurs poussé un Ouf! de soulagement quand Blair a refusé de réadmettre Livingstone au sein du parti travailliste. N’ayant plus aucune raison de lécher les bottes à la direction du New Labour Livingstone a de nouveau radicalisé sa position. Parfois, l’opportunisme peut mener en direction de la gauche…



Personne, lors de la manifestation, n’est tombé dans le piège consistant à penser qu’une guerre menée sous l’égide de l’ONU serait plus légitime qu’une attaque anglo-américaine. Le mouvement prend de l’ampleur. Et lorsque les bombes commenceront à tomber, des actes de désobéissance civile non-violents auront lieu partout dans le pays. Il faut que la même chose se produise aux Etats-Unis.


* L’un des principaux animateurs du mouvement étudiant de 1968 en Grand-Bretagne. Collaborateur de la New Left Review. Ecrivain et militant anticapitaliste engagé dans le mouvement contre la guerre.